Peu de gens peuvent répondre à cette question. Les rares
essais de réponse vont appuyer sur le côté « rationnel » et
« logique » de la science. Mais cette réponse ne peut
satisfaire un interlocuteur avisé, qui pourrait répondre qu’alors faire une
partie d’échec c’est faire de la science. Mais alors c’est quoi ? En quoi
une théorie est-elle jugée comme étant scientifique ? Là on pourrait dire
qu’en tant que citoyen Lambda ce n’est pas bien grave de ne pas être au courant
des fondements épistémologiques de la science, on se dit que la science c’est
la vérité et voilà ! Gros
problème : La vérité n’est pas vraiment une notion scientifique mais
plutôt philosophique, une théorie scientifique ne dit jamais la vérité. N’avez-vous d’ailleurs jamais eu
une discussion sur un sujet polémique (astrologie, ufologie, Dany Brillant, etc
…) avec un ami qui vous dit « mais la science n’est pas toujours la
vérité ! » ? Bref, connaître les bases épistémologiques de la
science serait utile pour lui répondre que non, Dany Brillant n’est pas
forcément un bon chanteur, je m’égare … désolé. Autre exemple, n’avez-vous
jamais entendu quelqu’un dire « tu crois en l’évolution
toi ? » ? Le mot « croire » pose ici un très grave
problème et tend subtilement à rapprocher la science de la religion. Je ne sais
pas vous, mais je rencontre beaucoup de gens qui ont du mal à distinguer les
deux, et n’ont aucun scrupules à affirmer que la science est la nouvelle religion
du 21 ème siècle.
Tout ceci n’est pas bien grave finalement, et ne concerne
que des petits problèmes de tous les jours. Cependant, la dimension devient
plus importante lorsque l’on parle avec un créationniste. Avez-vous déjà essayé
d’argumenter face à un créationniste ? Je les appelle les Terminators de
la rhétorique ! Ils ont un discours très bien rodé (bourré de sophismes),
et très dur à contrer. Même en connaissant la théorie de l’évolution
parfaitement, un créationniste peut prendre le dessus facilement. Leur discours
est basé sur une distinction quasi nulle de la religion et de la science. Et le
problème est devenu plus épineux avec l’apparition de l’intelligent design
2.0 : Oui l’évolution, mais avec dieu derrière. Et comment contredire un
créationniste qui vous réponds « mais tu ne peux pas prouver que Dieu
n’existe pas ! » ? Ce n’est pas votre connaissance de la théorie
de l’évolution qui vous aidera.
Nous allons ici essayer de répondre à la question simplement
en se basant sur le principe de réfutabilité de Karl Popper. Que dit
Popper ? Il dit que pour lui, une théorie est dite scientifique lorsqu’elle
peut être réfutée par l’empirisme. Kézako ? C’est très simple et très
intuitif, prenons un exemple : La théorie de la gravitation de Newton.
Celle-ci prédit que 2 corps de masse différente chutent à la même vitesse dans
le vide. Lorsque les astronautes ont pu aller sur la Lune ils ont pu tester
cela en lâchant un marteau et une plume même temps, et les 2 objets sont
arrivés au sol en même temps. Cette expérience est-elle une preuve de la
théorie de la gravitation, non pas du tout. Popper parle de corroboration.
Pour Popper, ce n’est pas parce que l’expérience a marché une fois ici, qu’elle
remarchera plus tard ailleurs. Ce n’est pas en observant une collection de
corbeaux noirs que l’on va prouver que tous les corbeaux sont noir. Bref, pour
Popper on ne peut prouver une théorie scientifique ! Étrange que de se
dire que la notion de « preuve » perd de son sens dans le domaine ou
l’on s’y attendrait le plus … Continuons. Le lâché de la plume et du marteau
sur la lune n’est pas une preuve de la théorie de la gravitation, mais une
corroboration. Ce qui fait de la théorie de la gravitation une théorie
scientifique n’est pas le résultat de l’expérience en elle-même, mais la possibilité de l’expérience elle-même.
Voilà ce qu’est la réfutabilité, la possibilité de la réfutation d’une théorie
par une expérience empirique. Pensons par exemple à l’exemple très médiatique
de l’expérience CMS et ATLAS du LHC qui a permit de tester si oui ou non ce fameux boson de Higgs existe.
Pensons aussi à l’éclipse de 1919 qui permet de catapulter Einstein sous les
projecteurs en confirmant une prédiction
de sa théorie de la relativité générale (Notons que cela n'a pas enterré la théorie de la gravitation de Newton, son cadre d'application est simplement restreint aux référentiels galiléens).
Voilà, j’ai dit le mot … prédiction.
Comme vous avez pu vous en rendre compte, construire une expérience permettant
la réfutation d’une théorie demande préalablement une prédiction de la dit
théorie sur l’expérience. Plus le pouvoir prédictif d’une théorie est
important, plus la possibilité de la réfuter est importante. Si la théorie de
la gravitation ne permettait aucune prédiction quant au lâché du marteau et de
la plume sur la Lune, cette expérience n’aurait servit à rien, et n’aurait pas
permit de tester la théorie. Le principe de réfutabilité de Popper demande
préalablement un pouvoir prédictif de la théorie afin qu’elle soit réfutable.
Une théorie n’ayant aucun pouvoir prédictif ne peut être testée empiriquement,
et donc n’a pas la possibilité d’être réfutée. Un exemple très simple, si je
dis que c’est un canard jaune géant qui a crée le big bang, cette théorie n’a
aucun pouvoir prédictif, et donc n’a pas la possibilité d’être réfutée. On se
rend compte intuitivement de la place qu’occupe les mathématiques dans la
science moderne. Les mathématiques permettent de quantifier le monde, de le
mesurer, le tout grâce a des objets non contradictoires (1 n’est pas égal à 2)
car construits de toute pièce par la pensée humaine (ce point n’est par contre
toujours pas tranché … voir l’enseignement de Platon qui voit les objets
mathématiques comme des entités indépendantes de la pensée humain, qui ont une
existence propre). Ce point soulève un autre problème, à savoir si le monde est
bien non contradictoire … je ne
parlerai pas de ça ici tellement le sujet est vaste, mais les contradictions
apparentes qu’amène la physique quantique ont soulevé bien des débats
philosophiques sur la nature même de la réalité. Revenons à notre problème de
la prédiction d’une théorie scientifique. On l’a vu, plus une théorie a de
pouvoir prédictif, plus la possibilité de la réfuter par l’expérience est
grande, ce qui sous-tend son caractère scientifique.
Nous revoici face à notre créationniste. Que lui répondre
lorsque qu’il dit qu’on ne peut prouver si Dieu existe, et que absence de
preuve n’est pas preuve d’absence. Certes, mais qu’en est-il de la valeur (au
sens de Popper) que l’on peut accorder à cette théorie ? Quel est le
pouvoir prédictif d’une telle théorie ? On le voit rapidement :
Aucun. Dire que Dieu a crée le monde et que c’est lui qui en sous main tire les
ficelle de l’évolution ne permet aucune prédiction. On en déduit qu’on ne
pourra jamais élaborer une expérience ayant la possibilité de réfuter une telle
théorie, car … « les voix du seigneur sont impénétrables ». La théorie
créationniste n’est par définition pas réfutable par l’expérience, donc non
scientifique. Cette théorie a autant de valeur épistémologique que mon canard
jaune géant qui a crée le monde.
Ce débat nous interroge directement sur les modes de construction de la connaissance humaine. Lequel choisir ? La méthode scientifique est-elle la vérité ? Je ne rentrerais pas dans cette question qui a une valeur plus philosophique que scientifique. Cependant, en restant au simple cadre scientifique, on peut distinguer 3 modes de constructions de la connaissance : L’induction, la déduction et l’abduction. La démarche inductive est reine dans la science moderne, mais il y aurait-il des exceptions ? La biologie et la physique obéissent-elle à une même démarche épistémologique ? Cette partie du débat sera pour un prochain billet.
Ce débat nous interroge directement sur les modes de construction de la connaissance humaine. Lequel choisir ? La méthode scientifique est-elle la vérité ? Je ne rentrerais pas dans cette question qui a une valeur plus philosophique que scientifique. Cependant, en restant au simple cadre scientifique, on peut distinguer 3 modes de constructions de la connaissance : L’induction, la déduction et l’abduction. La démarche inductive est reine dans la science moderne, mais il y aurait-il des exceptions ? La biologie et la physique obéissent-elle à une même démarche épistémologique ? Cette partie du débat sera pour un prochain billet.
Au final, connaître les fondements de l’épistémologie
moderne permettrait de mieux contrer les attaques créationnistes, qui
deviennent de plus en plus subtiles (intelligent design …). Ces attaques sont
multiples, et contribuent souvent à rendre floue la frontière entre la religion
et la science. En mon sens, il faut accepter de dire que la religion et la
science ne répondent pas aux même besoins ni aux mêmes questions. Leur terrain
d’expertise n’est pas le même, et les tentatives d’intrusion de l’un ou de
l’autre sont souvent fallacieuses. Il est à mon avis maladroit de penser que ces 2 grilles répondent aux même questions.
Oula en lisant ton texte je me suis remémoré certaines soirées électriques en Ariège. Tu te souviens?
RépondreSupprimerSinon chouette texte j'ai particulièrement apprécié le passage avec le canard jaune géant
mat
Très bon billet Pascal! En effet les créationnistes se persuadent et essayent de faire croire au monde qu'ils jouent dans la même cour que la science...
RépondreSupprimerAllez une petit perle d'humour
http://www.youtube.com/watch?v=FZFG5PKw504
Excellent article Pascal ! J'aime particulièrement "Leur terrain d’expertise n’est pas le même, et les tentatives d’intrusion de l’un ou de l’autre sont souvent fallacieuses."
RépondreSupprimerCe qui revient à condamner autant l'intelligent design que l'athéisme militant (celui de Dawkins est assez énervant en particulier).