7 juin 2014

C'est génétique! Ça veut dire quoi?

et vous obtiendrez une formidable accroche pour captiver l'attention de votre audience.[1]

"C'est génétique" est une formule magique dont raffolent aussi bien journalistes et penseurs de comptoirs, qu'étudiants prépubères et vrais biologistes hirsutes. 

Elle laissera autant de béas admiratifs un brin blasés par l'évidence a posteriori de la découverte, que de sceptiques pestant contre le biologisme réductionniste rampant et la prétention des chercheurs. Superficiellement ces trois mots semblent contenir un sens assez clair : Un caractère, par exemple une maladie ou un comportement, est contrôlé par un gène. Voilà c'est tout, vous pouvez circuler.
Mais que signifie "un gène"? Comment parvient-on à cette conclusion? Que signifie "contrôle"? Comment définit-on le caractère d’intérêt? Peut-on luter contre un déterminisme génétique?
Nous allons voir que ces questions ne sont pas si triviales et intuitives qu'il n'y parait et que des réponses trop hâtives sont à la source de nombreux malentendus. En particulier, un sens beaucoup trop fort est souvent attribué au fameux "c'est génétique".

En vrai, le contrôle génétique ne passe pas par de petits lutins et de vieux barbus qui nous manipulent consciemment de l'intérieur.
Pardon de tuer vos rêves d'enfants.



Même génétique, une cause n'est pas toute puissante

Quand on dit qu'un gène contrôle un caractère, on veut dire qu'un caractère est sous l'influence causale d'un déterminisme génétique, ou dit autrement, qu'un gène cause ce caractère . Mais c'est quoi une cause déjà ?

Formellement, A cause B si la probabilité que B prenne une certaine valeur est différente selon la valeur de A, dans au moins un contexte, et lorsque l'on contrôle pour toutes les autres causes de B.[2]
Concrètement ça veut dire quoi pour le problème qui nos occupe?

Premièrement, un gène peut causer un caractère même si ce caractère a de très nombreuses autres causes. Si la présence d'un gène rend les individus qui le portent 2 cm plus petits que la moyenne, ces individus peuvent néanmoins être les plus grands, si par exemple ils vivent dans un environnement favorable, ou si ils sont porteurs d'autres gènes ayant des effets positifs sur la taille. Il faut pouvoir corriger l'effet de l'environnement ou d'autres gènes pour étudier un déterminisme génétique. Ceci peut être réalisé expérimentalement, en fixant artificiellement toutes les autres causes connues, ou statistiquement en comparant les tailles d'individus avec différents combinaisons de gènes et d'environnements. 

Deuxièmement, on peut dire qu'un gène cause un caractère même s'il ne change ce caractère que dans certaines circonstances. Par exemple, il est possible qu'un « gène de l'obésité » ne cause l'obésité que quand les individus qui le portent sont exposés à une alimentation riche en graisses. Ce gène pouvant n'avoir aucun effet avant l'exposition à un nouvel environnement.

Troisième point qui en découle, un déterminisme génétique n'est pas nécessairement irrémédiable. D'autres déterminismes peuvent masquer l'effet d'un gène, et un gène peut changer d'effet ou perdre tout effet quand son environnement change. Le terme de "déterminisme" a mauvaise presse parce qu'il évoque la fatalité, l'absence de hasard, de liberté et de libre arbitre. Pourtant, l'existence de déterminismes est un prérequis à la science au sens le plus large. L'observation du monde ne nous apprendrait rien si les phénomènes étaient reliés entre eux de façons totalement aléatoires et imprévisibles, et la connaissance produite ne serait que superstition (cf les fameuses expériences de Skinner sur la superstition du pigeon:  vidéo gentille, texte plus sérieux).
Les Parques romaines déterminaient le destin des hommes de leur naissance à leur trépas. (Elles ont pris leurs retraites fort heureusement).
Était-ce d'un brin d'ADN qu'elles tissaient le fatum?

L'idée de fatalité est sans doute encore plus prégnante dans  "déterminisme génétique",  peut-être à cause d'une confusion entre la transmission et l’effet d'un gène: dès la conception, les gènes que nous porterons pour le restant de nos jours sont déterminés, et nous les transmettrons intacts ou presque à nos descendants. La transmission des gènes de parents à enfants est irrémédiable. Cependant, ça ne signifie pas que les effets de ces gènes le sont. Ils ne rencontreront pas le même environnement et ils ne seront pas en compagnie des mêmes gènes (certains venant de la mère, d'autres du père). Il est donc possible que les gènes s'expriment différemment chez parents et enfants, que leur expression ait d'autres effets, et que leurs effets soit modifiés au cours de la vie.

Bref, de nos jours pour la science, "cause" endosse une dimension multifactorielle, buissonnante et conditionnelle, bien loin du confort de la vision linéaire et systématique qu'elle a pu avoir dans le passé ou qu'elle continue à avoir dans le langage courant.

Le kit essentiel du généticien: référentiel et variation

Maintenant que nous savons ce qu'est, et ce que n'est pas une cause, nous pouvons nous attaquer au l'objet dont on tente d'établir les causes. Un point crucial à comprendre, si besoin est, à (gentils) coups de marteau dans la tête, est que le "c'est" dans "c'est génétique" ou "c'est culturel" concerne les causes de variation au sein d'un groupe pré-défini

Cette variation peut concerner différents individus, populations, espèces... peu importe, mais on ne peut pas étudier les causes en l'absence de variation dans ce que l'on observe. Si tout le monde autour de vous mesure précisément 1 mètre 80 centimètres et 23 millimètres, il est vain de chercher à savoir si la consommation de lait, les cycles lunaires ou le gène LEPR1 expliquent vos tailles.

Ceci nous amène à révéler une chose que "c'est génétique" ne veut pas dire, mais qui lui est souvent attribué : une déclaration sur la valeur d'un caractère chez un individu ou sur la valeur moyenne d'un caractère. On ne peut pas dire qu'une personne en particulier est grande ou a mauvais caractère à cause de ses gènes si on ne la compare pas à d'autres personnes. On ne peut pas non plus dire que les gènes causent la propension au coup de foudre des frenchies si on ne les compare pas à d'autres nationalités.
Le nombre de doigts dans une population humaine est-il génétique? Généralement non, en tous cas pas au sens d'un biologiste de l'évolution!

En effet, tout le monde a 10 doigts, sauf accidents. Ces accidents peuvent éventuellement intervenir avant la naissance, mais ils ne seront pas transmis à la descendance. Toute la variation du nombre de doigts est donc environnementale. [3]
Mais, les gènes que nous portons ne servent-ils donc pas à la construction de nos mains durant le développement embryonnaire? Si, bien sûr! Tout un tas de gènes sont nécessaires à la construction d'une main humaine.
Alors comment affirmer que le nombre de doigts dans une population humaine n'est pas génétique et dire ensuite qu'il nécessite l'action de gènes?
Parce que dans un premier temps on considère la cause du nombre de doigts uniquement chez un groupe d'humains, alors que dans un second cas, en parlant du développement embryonnaire, on utilise implicitement ce que l'on a appris en comparant le développement de différentes espèces et en manipulant génétiquement des embryons humains afin de faire apparaitre de nouvelles différences génétiques. Le groupe considéré n'est plus notre population humaine, mais englobe à présent plusieurs espèces avec différents nombre de doigts, ou un groupe contenant des embryons mutants artificiels. Si on se place dans le référentiel de l'évolution des mammifères, alors il est possible de dire que le nombre de doigts est déterminé génétiquement, parce que tous les mammifères n'ont pas le même nombre de doigts et que la comparaison de leur génome et de leur développement embryonnaire permet de détecter quelles différences génétiques causent la variation.

Un caractère, tel que l'autisme, peut être presque exclusivement génétique ou seulement en moitié génétique dans différentes études. Rien de surprenant à cela, ces études portent sur différentes populations humaines. Il n'y a aucune raison pour que les sources de variation (dans le fait d'être autiste ou pas par exemple) soient les mêmes dans toutes les populations. Ainsi, il est possible qu'il n'existe aucune variation génétique liée à l'autisme dans certaines populations, toute la variation étant environnementale. On peut aussi concevoir deux populations avec exactement la même variation génétique, l'une dans laquelle tout est génétique, et l'autre dans laquelle une faible part de la variation est génétique. Ceci signifierait simplement qu'il y a des sources environnementales de variation supplémentaire dans la seconde population.

Déterminismes génétiques et environnementaux, même combat

Nous avons vu qu'un déterminisme génétique n'avait aucune raison particulière d'être irrémédiable, qu'il était toujours relatif à un groupe contenant de la variation, et qu'il pouvait changer d'un groupe à un autre, même au sein d'une espèce.
Bien tenté, mais non désolé, ton ADN ne sera jamais une excuse suffisante pour les horreurs que tu produis!

Qu'en est-il des déterminisme non-génétiques ? Et bien c'est exactement pareil! Un déterminisme environnemental repose de la même façon sur des bases flottantes: référentiel, variation, influence et interactions d'autres causes... Un déterminisme génétique n'a aucune raison particulière d'être plus fort ou plus difficile à changer qu'un déterminisme environnemental.

On trouve encore des intellectuels pour s'outrer que l'on puisse attribuer un comportement à un déterminisme génétique, parce que cela nie le libre arbitre, et l'instant d'après dire que ce comportement est déterminé par l'éducation... ( exemple où par ailleurs on peut soupçonner le défenseur du déterminisme génétique de lui attribuer cette puissance magiquement irrémédiable que j'essaie de critiquer). La question du libre arbitre dans un monde fait de déterminismes et d'aléas est une question difficile, et beaucoup de philosophes ont noirci des pages à ce sujet. Quoi qu'il en soit, je ne vois pas en quoi le libre arbitre est moins blessé par des déterminismes environnementaux qu'il ne l'est par des déterminismes génétiques.

Pour revenir à l'exemple des doigts chez l'homme, nous avons dit que tout un tas de gènes étaient nécessaires à l'obtention de 10 doigts. Si on les supprimait de l'ADN humain, on n'obtiendrait pas 10 doigts. Cependant, tout un tas de conditions hors de l'embryon sont aussi nécessaire. La plupart sont liées à l'environnement contrôlé qu'est le ventre maternel, avec son cocktail d'hormones, de nutriments, la faible de dose de rayons cosmiques ou l'absence de piranhas... Sans ces conditions environnementales, par exemple si on place l'embryon humain dans un œuf de poule, le ventre d'une jument ou dans le cratère d'un volcan en éruption effusive, impossible d'obtenir 10 doigts! L'issue la plus probable est la mort de l'embryon tôt dans son développement.

De plus, en écrivant plus haut que l'on peut identifier les gènes responsables du nombre de doigts chez les mammifères, je ne fais pas une déclaration sur l'essence de ces gènes. Il est fort possible, que combinés à des gènes différents, ailleurs dans le génome, ou dans des conditions environnementales différentes, un même gène confère des nombres de doigts différents.

Pourquoi ne pas définir de déterminismes génétiques absolus, indépendant du contexte? Parce que cela serait inutile. Dès le moment que nous sommes des êtres vivants, chacun de nos caractères, chacun de nos faits et gestes, chacune de nos pensées et chacune de nos émotions ne pourraient exister sans l'intervention de gènes, tout comme ils ne pourraient exister sans l'existence d'un environnement social, d'air oxygéné ou de gravité. Une définition du déterminisme génétique, de notre "c'est génétique", qui serait indépendante d'un référentiel, serait absolument inutile parce que tout caractère relatif à un être vivant serait à la fois intégralement génétique et intégralement environnemental. 
En effet, quel serait le sens de se demander à quel point la taille de quelqu'un, ou sa personnalité sont dus à ses gènes plutôt à son environnement social? Quel serait le sens de considérer qu'en moyenne 70cm de la taille des humains sont dus à leurs gènes et le reste à la quantité de soupe au fromage râpé de leur nounou?
Quel serait le sens de penser l'effet de la culture hors de tout contexte biologique?
Les humains ne sont pas des esprits purs, leurs bouches, leurs oreilles, leurs cerveaux... leurs passions, leurs peurs, leurs questionnements... rien de cela n'existerait sans l'activité chimique de leurs molécules d'ADN. Il est impossible d'avoir un environnement social si l'on n'a pas de gènes, pas plus qu'il n'est possible d'avoir de gènes sans environnement social.

Encore une fois, seule la variation existante entre individus, dans le temps, dans l'espace... peut être disséquée en plusieurs compartiments. Il n'y a pas de déterminismes génétiques ou environnementaux indépendamment d'un contexte. 

Conclusion: dédramatisons

Nous vivons dans un univers pas tout à fait aléatoire et il existe des causes. On a tout à fait le droit de ne pas vouloir savoir les déterminismes qui façonnent son physique, son comportement ou ses pensées. Mais ça ne change pas que des déterminismes existent, et que les identifier est l'objectif que s'est fixé la science.

Les déterminismes génétiques n'ont rien de magique. Ils ne sont pas plus puissants, intraitables et figés que les autres. C'est pourtant ainsi qu'ils sont encore perçus à chaque fois qu'une étude scientifique à leur sujet atteint le grand public. Certaines études scientifiques sont erronées ou limités, mais ce n'est pas plus le cas de celles traitant de l'influence des gènes que celles traitant de notre environnement de travail par exemple. Je ne vois pas de bonnes raisons a priori de prêter une critique ou une indignation particulière aux premiers plutôt qu'aux seconds. En particulier, les accusations de réductionnisme (en fait ce n'est pas une insulte) à l'encontre de l'explication génétique des comportements humains pourraient tout à fait être transposées au explication économiques par exemple. Ce n'est pas parce que l'ADN est petit que c'est réductionniste!

Hormis dans le domaine de la santé, la façon dont nos gènes et notre environnement construisent ce que nous sommes n'a pour le moment été étudié que pour quelques points très particuliers. Il y a fort à parier que les prochaines décennies verront une accumulation d'études décomposant les causes de toujours plus de caractères et de comportements humains. Je serais très surpris de ne pas trouver de nouveaux comportements humains complexes dans la liste des caractères déterminés génétiquement (pourquoi pas nos opinions politiques). Espérons que ces découvertes seront, peu à peu, apportées au public (téléspectateurs, étudiants, confrères biologistes) avec moins de sensationnalisme (euh, on peut toujours rêver) et seront accompagnées de quelques notes de démythification.




Notes

[1] A un degré sans doute un peu moindre "chuchichäschtli n'est pas génétique" marche aussi, mais le message de cet article étant symétrique et l'accroche "c'est génétique" étant plus commune, nous nous en tiendrons à celle-ci.

[2] Pour une définition un peu plus précise, que je pique au bouquin d'Isabelle Drouet, qui elle cite Skyrms (1980):
où les S décrivent l'ensemble des propriétés qui causent B ou son inverse mais qui ne sont pas causées par A.


[3] Si on laisse de côté de rares mutations génétiques qui sont effectivement la cause d'un nombre de doigts différent de 5 par main: Oligodactylie et Polydactylie. Disons qu'en étudiant une population humaine quelconque il est très improbable qu'un porteur d'une telle mutation y soit présent.




Références

  • Ce qu'est une cause: 
Le très bon, mais assez abstrait, bouquin Causes, probabilités, inférences, Vuibert, 2012, par Isabelle Drouet.
et indirectement: 
Skyrms B. (1980). Causal necessity :  a pragmatic investigation of the necessity of laws. Yale University Press, New-Haven and London.

  • Tant de réflexions sur la biologie, l'évolution et bien plus encore:
The extended phenotype. par Richard Dawkins.

  • Superstition du pigeon:

  • Confrontation déterminismes environnementaux et génétiques:

2 commentaires:

  1. Je n'ai pas l'impression que la causalité génétique soit gênante en soi, même lorsqu'elle s'applique aux comportements, aux maladies ou même à certains traits de caractères. Pour prendre l'exemple de la différence entre garçons et filles, la plupart des gens admettent (à tort peut être, mais là n'est pas la question) que les hormones influent sur le caractère et les goûts des deux sexes. Ces niveaux hormonaux dépendent du sexe donc de la génétique et cette dépendance ne choque pas grand monde tant qu'on on en reste à ce niveau d'analyse.

    Là où ça devient problématique, c'est qu'on essaie souvent d'aller un cran plus loin, en cherchant un avantage évolutif à ce déterminisme, une explication en terme d'adaptation au mode de vie supposé de nos ancêtres. On sort alors du champ scientifique (puisque ces interprétations sont absolument invérifiables et non réfutables) pour rentrer dans le champ du social. L'explication "naturalise" des stéréotypes du genre "ça permettait aux hommes de mieux chasser et aux femmes de mieux s'occuper des gnards". On passe de la science à un remake de "Les hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus".

    C'est peut être la raison pour laquelle on se méfie davantage du déterminisme génétique que de la causalité environnementale: au moins celle-ci ne renvoie-t-elle pas à la moindre idée d'optimalité adaptative, une notion toujours sujette à débat lorsqu'il s'agit de notre propre culture...

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    1. Désolé pour cette réponse très tardive, j'avais raté votre commentaire.
      Donc oui ceci semble en effet une cause possible aux réluctances.
      Par contre, juste une petite précision de vocabulaire. En général (en tous cas dans tout ce que j'ai lu et qui date d'après les années 1960), la notion d'adaptation ne renvoie pas une dimension historique (dans de plus vieux écrits cet dimension est en effet présente), elle veut simplement dire "un caractère qui est bon (en terme de fitness, quoi que ça puisse vouloir dire) pour quelque chose (gène, individu, groupe, population, espèce...?)", ou encore "pic de fitness". Donc, tout en étant complètement d'accord avec vous sur l'abus de spéculations sur les causes adaptatives historiques de caractères, il est inexact de dire que ces affirmations ne sont pas vérifiables ni réfutables. Certainement c'est compliqué, mais je ne vois pas ce qui fondamentalement empêche de tester qu'un caractère donné est un pic de fitness. (en pratique, si on parle de traits humains, qu'aucune variation n'existe actuellement, que l'on n'a pas trop d'idées sur les conditions sélectives passées, et qu'en plus on se préoccupe de questions d'éthique et d'acceptation sociale des recherches... alors d'accord c'est pas forcément évident. Ceci dit, on peut toujours jouer avec des modèles mathématiques, parfois avec profit.)

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