9 mai 2014

Flinguer la biodiversité, c’est bon pour la santé !



Lecteur, ne le nie pas, ce titre te choque. La diversité biologique -ou biodiversité- est un mot magique depuis qu’Edward O. Wilson l’a popularisé dans un compte rendu de colloque, et elle est généralement considérée comme quelque chose de positif.

La biodiversité, c’est BIEN. La perte de biodiversité, c’est MAL. La crise d’extinction majeure actuelle, c’est SUPER CACA.
Certes. Mais cher lecteur, ça te dirait de jouter un peu ?
Imaginons que je sois un promoteur immobilier sans scrupule, prêt à raser une forêt vierge pleine à craquer de gentils orangs-outans mignons pour construire une zone industrielle. Toi, lecteur, vas devoir me convaincre qu’il faut protéger la biodiversité avec des arguments béton (parce que sinon, je noie tout dedans. Dans le béton. HAHAA. Humour de promoteur, ‘Pouvez pas comprendre.). ALLEZ C’EST PARTI.

Je t’écoute. Après quelques bafouillis peu convaincants parlant de Gaïa et Grand-mère feuillage, tu attaques avec mon argument préféré : « nous dépendons de la biodiversité pour vivre. ». Il m’éclate tellement qu’on va en faire un sous-titre, tiens.


Ton argument : nous dépendons de la biodiversité pour vivre. 

Je suis peut-être un promoteur pourri, mais j’ai une formation scientifique, alors je te demande de citer des papiers. Ce que tu fais : tu me cites le Millenium Ecosystem Assesment (MEA), une gigantesque étude commissionnée en l’an 2000 par Kofi Annan, alors secrétaire générale de l’ONU.

Publié en 2005, le rapport impliquera plus de 1000 experts dans une centaine de pays. Ses conclusions sont claires : la biodiversité est en péril, les espèces s’éteignent à un rythme record, et l’homme va nécessairement finir par en pâtir à un moment où un autre. Ces conclusions passeront tellement bien dans la culture populaire qu’on devra se farcir les années suivante les discours catastrophistes de photographes et autres animateurs de télé français. Et ce en boucle.
Bien tenté, lecteur, mais nul part dans le rapport du MEA il n’y a de preuve véritable que l’homme souffre lorsque la biodiversité diminue. Pas d’étude corrélationnelle. Pas d’expériences. Juste une grosse hypothèse non testée. 


Maintenant c’est mon tour, on va se marrer.
Pour commencer, les pays avec le plus de biodiversité sont également les pays où l’on meurt le plus à cause de cette biodiversité. Hé oui, diversité d’espèces implique diversité d’organismes pathogènes ou vecteurs de pathogènes – de maladies quoi-. Fiève jaune, paludisme, dengue : toutes ces maladies mortelles inconnues des pays tempérés sont de véritables machines à tuer. Chaque année, environ 700 000 personnes meurent de la malaria, maladie transmise par les moustiques des tropiques. Ah tout de suite, elle est moins sympa la biodiversité.


Mais attends, ne pars pas, ça devient encore meilleur.
Si on corrèle la diminution globale de biodiversité au cours du temps (sous la forme de l’indice planète vivante de WWF – Gaïa, grand-mère feuillage, tout ça… –) avec n’importe quel indicateur de développement humain au cours du temps (au hasard, l’IDH, il sert à ça), on obtient quelque chose d’assez différent :

http://leo.grasset.free.fr/wp-content/uploads/living-planet-index.jpghttp://leo.grasset.free.fr/wp-content/uploads/ScreenHunter_01-Sep.-02-23.25.jpg

À gauche, l'indice planète vivante, qui s'effondre tranquillement depuis les années 70. À droite, l'indice de développement humain, qui croît tranquillement depuis cette date (sauf en Afrique Subsaharienne, où le départ à l'allumage a été un peu plus lent).

En d’autres termes, plus la biodiversité se casse la tronche, plus on est contents.
C’est un fait, on a jamais été aussi bien qu’aujourd’hui : le taux de conflits armés est historiquement bas, une meilleure santé que jamais, les gens sont plus riches que jamais, la mortalité infantile s’effondre, le tiers monde n’existe plus, etc., etc.
Ce grand écart entre l’hypothèse de départ et la réalité factuelle a été nommé le Paradoxe de l’environnementaliste, et ses auteurs ont proposé 4 hypothèses pour expliquer cet écart :
  1. En fait, en vrai, l’état des humains se dégrade, mais on n’arrive pas à le voir avec des mesures comme l’IDH.
    Cette hypothèse est pourrie, et est facilement éjectée par les auteurs : quel que soit le critère qu’on prend, l’humanité se porte mieux aujourd’hui qu’il y a 100 ans. Suivant.

  2. La technologie dissocie les humains des écosystèmes. Hypothèse très improbable pour tout un tas de raisons : l’air que l’on respire n’est pas (encore) recyclé par des plantes électroniques, et la nourriture synthétique est encore du pur hype. La technologie, et principalement le pétrole, a surtout permis d’augmenter la productivité des agrosystèmes par 5 au cours des 50 dernières années. Ce n’est pas une dissociation, c'est le contraire.
    Rendement agricoles aux USA. Source : USDA NASS (National Agricultural Statistics Service). 2010. “Quick Stats - U.S. & All States Data - Crops.” 

  3.  Le pire est à venir Il y a un décalage temporel entre le moment où un écosystème est dégradé et le moment où la punition se fait sur les humains pénitents.
À moins que la dernière hypothèse ne se révèle confirmée, et qu’il existe bien un seuil au-delà duquel tout bascule, tu vas devoir te trouver un autre argument très cher lecteur: les données ne soutiennent pas le précédent que tu m’as fourni.

Tu répliques :  
OUI, MAIS. Plein de civilisations du passé se sont pété la truffe après avoir massacré leur environnement, alors pourquoi pas nous ? 
(i.e : il existe bel et bien un seuil de biodiversité en deçà duquel on meurt tous).
C’est incontestable, de nombreux travaux en archéologie et en archéobotanique montrent que tout un tas de cultures diverses ont mal fini après avoir exploité de façon non durable leur environnement. 

Tu namedrop « Jared Diamond », qui recense ces sociétés dans son livre Effondrement : les Vikings du Groenland, les Mayas, le Rwanda, l’Île de Pâques, Mangareva, etc., etc. Tu es un lecteur de goût, ce livre est bien. De nouveaux travaux en archéologie confirment que la biodiversité du sol par exemple est un  facteur suffisamment important pour que sa dégradation mène à un effondrement social total.
Tu me cites aussi les états en faillite comme Haïti, la Somalie, le Yémen ou l’Afghanistan : leur état catastrophique va en effet avec des dégradations environnementales sévères, mais il est difficile de savoir ce qui est la cause et ce qui est l’effet ici : est-ce parce qu’il n’y a plus de gouvernement centralisé que l’environnement est dégradé, ou l’inverse ? Bof bof pour ce point particulier. Tu as autre chose ?
Tu me dis oui ! Un papier récent a montré que la perte de biodiversité était liée à l’augmentation d’épidémies en Asie. D’ailleurs, le papier montre que la diminution de la couverture forestière a le même effet. La voilà la bonne raison pour ne pas construire mon complexe immobilier : je contribue aux futures pandémies en coupant du bois et en faisant disparaître des espèces.

Pourquoi pas, je vais y réfléchir. En attendant, un peu plus de faits scientifiques seraient bienvenus : il ne suffit pas de clamer que les humains dépendent de la biodiversité, il faut aussi pouvoir le prouver.

Note de l’auteur : la biologie de la conservation, avant d’être une science, était un mouvement militant (voir UN SUPER HISTORIQUE ICI OUAH TROP BIEN ÉCRIT ET TOUT).
Ce passé militant est encore vif aujourd’hui, et complique nécessairement un peu la démarche rigoureuse de connaître l’impact de la biodiversité sur nos vies de tous les jours. Après 100 ans de matraquage par le syndrome Gaïa, il serait intéressant de commencer à regarder ce que nous disent vraiment les données.
Alors, pourquoi sauvegarder la biodiversité ? Imaginons qu’un jour, la science nous dise que l’on pourrait très bien vivre avec 3 espèces autour de nous (blé, vaches et rats), et très bien s’en porter. Pour moi, ça ne change rien : j’estime que la conservation de la biodiversité est un problème moral, avant d’être un problème « pratique ». D’ailleurs quand on y pense, c’est assez triste de devoir justifier la valeur du vivant par des raisons pragmatiques. C’est vraiment une attitude de promoteur quoi.


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En savoir plus :
Ben déjà, tu peux commencer par cliquer sur tous les liens de l’article !
Sinon, pour une chouette réflexion sur la valeur de la biodiversité, le livre de Donald Maier, What's So Good about Biodiversity?: A Call for Better Reasoning about Nature's Value. Si vous êtes pressés et que vous n’avez pas le temps de lire tout ça, optez pour cette synthèse super rapide d’une page.

20 commentaires:

  1. Réponse simple : il ne suffit pas de pouvoir vivre dans le sens de subsister pour ne pas décliner. Le déclin, c'est le trop de réalité, l'imagination tuée, homogénéisée, standardisée... Sans diversité, pas d'imagination, pas de poésie et donc pas de liberté. Nous devenons tous esclaves et mourrons d'un suicide intellectuel de masse. Je vous conseille vivement de lire : Annie Le Brun, Du trop de réalité et De l’éperdu, Stock, 2000.

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  2. Le dernier lien ne marche pas :( et moi qui me disait chouette, une page...

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    1. Lien réparé ! Il s'agit de l'article suivant : Vellend, Mark. "The value of biodiversity: a humbling analysis." Trends in Ecology & Evolution 20 (2013): 1-2.

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  3. Excellent, je me suis bien marré.
    Cependant je ne partage pas ton avis sur "Effondrement ... ce livre est bien", en particulier les exemples d'écocides sont tous contestables et contestés. D'abord, l'effondrement d'une société n'implique pas toujours une chute de la population ou de l'espérance de vie des humains qui la compose : ils continuent à vivre dans d'autres structures. Ensuite les causes d'un effondrement sont toujours multiples et complexes. La modification anthropique de l'environnement par la société elle-même en est rarement la cause unique. Tellement rarement que je n'en vois aucun exemple probant.

    En particulier, l'hypothèse de l'écocide de l'île de Pâques par déforestation pour l'édification des statues ne tient plus après les recherches récentes. C'est une "éco-fable" ( http://fabiusmaximus.com/2010/02/04/easter/ ) . D'ailleurs on sait maintenant que les statues "marchaient" comme le raconte la légende : https://www.youtube.com/watch?v=YpNuh-J5IgE (trouvez le reportage complet, à voir en entier absolument!)

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    1. Hello Goulu, content que ça t'ai plut !
      Jared Diamond ne parle pas que de la cause environnementale dans son livre Effondrement. En fait il considère que l'effondrement d'une société peut être du à au moins 5 facteurs prépondérants : dégradation environnementale, changement climatique, voisins hostiles, perte de partenaires commerciaux, et les réponses de la société elle-même à ses problèmes environnementaux.
      Dans le cas de Rapa Nui, il me semble qu'il cite même explicitement les invasions de rats comme une cause participant à la catastrophe (ils bouffent les graines des plantes, qui ne se renouvellent plus). Il peut s'être planté hein, je ne dis pas, mais il ne faut pas l'accuser de tout voir à travers un seul facteur. D'ailleurs il passe plutot l'essentiel du bouquin à dire que le facteur le plus important est l'attitude des gens vis à vis de leurs ressources naturelles (avec l'excellent exemple du Japon à l'ère Tokugawa, qui vaut son pesant de samouraïs). Les critiques du travail de Jared Diamond sont assez souvent basés sur du quote mining, extrayant des citations hors de leur contexte ou résumant son oeuvre scientifique à une idée sursimplifée, et c'est dommage : son travail est très documenté, et cet auteur a l'honnêteté intellectuelle d'admettre que ce qu'il propose est une grille de lecture à compléter. J'aime bien la réponse qu'il a écrit pour ces critiques d'ailleurs : http://jareddiamond.org/Jared_Diamond/Geographic_determinism.html

      Enfin ça me semble quand même difficile d'ignorer les interactions multiples entre l'état des écosystèmes et le bien être de la population qui en dépends. Rien qu'a voir le laboratoire naturel qu'est Hispaniola pour avoir un exemple criant : deux territoires sur la même ile, avec à peu près les mêmes environnements de départs (si ce n'est un léger désavantage côté Haïti niveau ressources en eau je crois), mais gérés différement. Aujourd'hui, St Domingue a presque 2x l'IDH d'Haïti, et ont voit les différences écosystémiques par satellite...

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  4. Excellant article Léo! Franchement top!

    Je te rejoins à 100% quand tu dis qu'il faut peut-être chercher essentiellement dans les questions morales quant à la raison du pourquoi il faut sauvegarder la biodiversité. On peut faire un parallèle intéressant si par exemple un fou voulait mettre une bombe au Louvre pour détruire toutes les œuvres... Pourquoi l'en empêcher? La réponse la plus simple et la plus évidente est parce que ces œuvres représentent un patrimoine commun, témoins de notre histoire, qu'il est important de conserver, pour ne pas finalement perdre une "partie de nous". J'ai le sentiment que c'est la même chose pour la biodiversité. Elle représente le patrimoine de la Terre, elle est le témoins de l'évolution.

    Une autre raison que l'on peut avancer contre la perte de la biodiversité est aussi tout simplement sa beauté. Ça se remarque très bien au vu du renouveau d'intérêt pour les espaces "naturels" en ce moment. Les gens finalement recherchent simplement un autre paysage que la ville. C'est une raison certes triviale, mais en soit pertinente.

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  5. Je me souviens vaguement d'un cours à la fac sur la biodiversité où le but était de savoir comment chiffrer la valeur de la biodiversité. Deux éléments avaient été cités (mais surement pas chiffrés, voire chiffrables et pas publiés) : nous puisons, pour créer de nouvelles technologies, une grande partie de notre inspiration de la biodiversité ; nous continuons de découvrir de nouvelles espèces produisant des composés chimiques intéressants notamment pour la médecine.

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    1. Oui, en ce qui concerne chiffrer la biodiversité (et la nature au sens large), une des tentatives les plus notoires est la discipline de l'Ecological economics. R. Constanza a par exemple calculé que la production de la biosphère au sens large valait en moyenne 33 trillions de dollars par an : http://www.nature.com/nature/journal/v387/n6630/abs/387253a0.html
      Je ne suis pas vraiment fan de cette approche pour de nombreuses raisons, qui sont résumés dans ce très chouette article : http://thebreakthrough.org/index.php/journal/past-issues/issue-2/the-rise-and-fall-of-ecological-economics/

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  6. Pas de réponse à l'argument de l'effet seuil donc? Alors que c'est le plus plausible?
    blé vache et rat...ok mais qui va produire de l'oxygène en hiver lorsque le blé sera à peine germé? La photosynthèse c'est assez utile non? ou bien le blé poussera dans des serres hydroponiques?
    La biodiversité c'est aussi ce qui permet aux milieux d'épurer l'eau qui ressort de nos stations d'épuration (bon ok on pourrait faire pareil artificiellement mais il va falloir aligner les biftons).
    Et quand on sait qu'on a 10 fois plus de cellules bactériennes dans notre corps que de cellules humaines euh...c'est ni le blé ni les vaches ni les rats qui vont t'aider à digérer tes aliments?
    Alors peut-être que d'ici des années on aura des générateurs artificiels d'oxygène géants et des digesteurs intégrés et qu'on pourra uniquement vivre avec du blé, des vaches et des rats (d'ailleurs à ce compte là on peut aussi imaginer faire de la photosynthèse artificielle et plus besoin de blé, ni de vaches d'ailleurs on synthétisera des protéines, quand aux rats...) mais là tout de suite j'ai pas l'impression qu'on soit vraiment au point...
    En effet la biodiversité en elle-même ne sert à rien mais dans ce cas s'il ne devait rester qu'une espèce sur terre je pense qu'on serait bien mal barrés pour gagner le trophée des survivors!
    Donc oui moi je pense qu'il y a un effet seuil en dessous duquel la perte de biodiversité engendre une baisse de la qualité de vie, rien que parcequ'il faut remplacer et payer des services indispensables qui étaient remplis auparavant par la biodiversité.

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    1. En fait, l'effet de seuil a déja été développé dans cet article, mis en lien à la suite de l'hypothèse dans le texte ci-dessus. http://danslestesticulesdedarwin.blogspot.com/2013/02/avalanches-sur-la-biosphere-episode-1.html

      Ce qu'il faut en retenir c'est que les effets de seuils sont eux aussi l'objet d'une recherche scientifique intense en ce moment, et que les résultats ne tendent pas à dire qu'il existe une règle unique pour tous les écosystèmes. Certaines mares et zones arides tendent en effet à subir des effets de bascules après un seuil, tandis que d'autres écosystèmes non. Heureusement, les gens qui travaillent là dessus sont assez géniaux (Sonia Kéfi, en France, en est un bon exemple) et on peut s'attendre à ce que le domaine génère des résultats intéressants.
      En revanche il faut se méfier des annonces catastrophistes du type "on va tous mourir dans 20 ans parce que la biosphère va basculer", parce que, et ben, ce sont des annonces catastrophistes :-) Certains sont publiées dans des publis scientifiques à comité de lecture, sous le label "opinion", et ça traduit bien ce que c'est : une opinion.

      Pour la digestion, la photosynthèse, et le reste : il me semble (mais je peux me tromper) que ces fonctions sont plutôt assurés par une poignée d'espèces très courantes (avec beaucoup d'individus) plutôt que par de nombreuses espèces rares. Respectivement, on aurait E. coli et ses copines pour la digestion, quelques cyanobactéries et algues vertes pour la photosynthèse, etc etc. Dans ces exemples, la biodiversité semble beaucoup moins importante que la démographie de quelques espèces clés (à l'état de mes connaissances sur le sujet en tout cas ;) )

      Encore une fois, il y a de la marge pour en savoir plus sur l'importance de la biodiversité dans notre vie de tous les jours. À côté de ça, je pense que la sauvegarde de cette diversité doit être motivé pour des raisons morales plutôt que pour des questions pratico-pratiques.

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    2. Pour ce qui est de la digestion : la proposition récente de transplanter une flore intestinale chez des patients atteints de la maladie de Crohn montre bien qu'il ne suffit pas de balancer quelques Escherichia dans l'intestin pour recréer une flore efficace.
      De toute façon il est tout a fait inconcevable d'imaginer la biodiversité de la Terre réduite à 3, 10, 100 ou même 1000 espèces (si toutefois on arrive à se mettre d'accord sur la définition du mot). Quiconque essaye d'imaginer un modèle ultra-simplifié d'un écosystème unique et mondial va vite se rendre compte que le système n'est pas viable ou bien qu'il faut rajouter un nombre d'espèces possédant chacune un ou plusieurs rôles écologiques à remplir tout simplement énorme (mais peut-être pas autant que le nombre d'espèces actuelles effectivement).

      Raisons morales, practico-pratiques...pourquoi pas les deux? Avant le MEA, il y a eu le sommet de la Terre à Rio en 1992 où toute une série de justifications d'ordre morales et pratiques ont été avancées et sont, pour ma part, largement suffisantes pour justifier la sauvegarde de la biodiversité, même auprès du promoteur immobilier le plus diabolique.
      Un de mes arguments préféré c'est le réservoir génétique (en particulier des plantes) qu'est la biodiversité actuelle pour la transition climatique en cours, et qui a/aura des applications principalement dans les domaines de l'agriculture et de la recherche pharmacologique.

      Je pense qu'il y a :
      - une bonne partie de la biodiversité qui est nécessaire pour la survie de l'Homme (plantes, réservoir génétique,..)
      - une partie de la biodiversité que l'on peut sauver pour des raisons d'ordre morales ou personnelles (panda, bonobo, animaux fétiches et symboliques qui jouent encore une rôle important dans certaines civilisations,..)
      -une partie de la biodiversité dont on pourrait effectivement bien se passer (je pense à beaucoup de virus, quelques bactéries, SURTOUT PAS les moustiques qui servent de nourriture à une foule d'animaux,..)

      Dans la même lancée je suggère à tout le monde cette excellente conférence de P.H. Gouyon sur le thème "qu'est ce que la biodiversité?"

      PZ

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  7. Ok avec l'idée générale, mais une nuance entre concept global et local.
    La perte de Biodiversité en tant que concept global n'a peut-être pas de conséquences pratiques systématiques et n'a pas fait l'objet de beaucoup de recherches, mais dans le détail, la perte de certaines espèces à un endroit donné dans un contexte donné peut avoir avoir des conséquences spectaculaires (positives ou négatives) pour l'homme, son économie, ses sociétés, et ça ça a été très largement documenté (bien que très incomplètement).
    Là où je vois le plus d'exemples de ça c'est en agronomie, où éventuellement on se passerait bien de toute la biodiversité sauvage si on pouvait, mais où on se repose sur la biodiversité "auxiliaire" pour mitiger gratuitement la biodiversité "nuisible" et pour d'autres services écosystémique (fixation d'azote, rétention d'eau et de sol, aération, décomposition, pollinisation...). Un peu la même idée pour les pathogènes humains, dans l'idéal on pourrait penser à tout buter, mais dans la pratique, avoir des trucs qui se bouffent les uns les autres ça peut aider. On pourrait aussi citer tout ce qu'il se passe dans les réseaux trophiques marins avec la disparition des prédateurs sur-pêchés... et c'est pas parce que pour le moment on trouve la plupart du temps des solutions de remplacement que c'est durable et que ça ne coute pas la peau du cul. Bref des milliards de milliards en jeu, ainsi que nos modes de vie et beaucoup de vies humaines. (après, fondamentalement on a pas non plus de raisons transcendantales de préserver ces enjeux là, mais là plus part des gens semblent quand même d'accord pour le faire)

    Sinon, pour la partie patrimoniale, j'ai compté 80 espèces comestibles hier dans ma cuisine, en rentrant de weekend sans avoir fait les courses. Dur de compter combien d'espèces je mange durant une année, mais c'est certainement beaucoup plus. La biodiversité cultivée c'est de la toute petite plaisanterie, mais déjà ça fait une belle liste d'espèces (sans compter les variétés) à ne pas laisser filer.

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  8. Après avoir méditer un bon moment une réponse point par point aux arguments avancés, un proche à pointé mon attention sur cette citation:

    “The outstanding scientific discovery of the twentieth century is not television, or radio, but rather the complexity of the land organism. Only those who know the most about it can appreciation how little we know about it. The last word in ignorance is the man who says of an animal or plant, "What good is it?" If the land mechanism as a whole is good, then every part is good, whether we understand it or not. If the biota, in the course of aeons, has built something we like but do not understand, then who but a fool would discard seemingly useless parts? To keep every cog and wheel is the first precaution of intelligent tinkering.”

    Aldo Leopold, Conservation, 1938.

    Au même titre qu'un château, un musé, une langue, une librairie, la conservation de la biodiversité peut être justifié par un raisonnement logique sur des fondamentales morales. Mais comment dans le même contexte défendre la destruction d'un château au nom de la science? Dur dur… et je doute fort que ce soit le rôle de la science d'ailleurs.

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  9. "il n’y a de preuve véritable que l’homme souffre lorsque la biodiversité diminue"

    Et si les abeilles disparaissent, les humains n'en souffriront pas, peut-être ? *facepalm*

    Et tous les remèdes qu'on risque de perdre, parce que certaines molécules se trouvent dans des plantes rares ?
    On industrialise tout, alors ? Super solution, hein. *double facepalm*

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    1. Hello, tu dois avoir lu un peu rapidement la fin de l'article.
      Évidemment que ma position n'est pas l'industrialisation à excès (de toute façon il faut être honnête, qui pourrait écrire ça sur internet sans se faire incendier ?). Cet article s'intéresse juste aux données factuelles qui sont derrière les conséquences de la crise de la biodiversité. La conclusion est qu'elles sont encore très ténues.
      Pour l'instant la relation est un peu difficile à prouver, mais si tu as un papier qui démontre une causalité entre disparition des abeilles et disparition des humains, je suis preneur bien sûr :)

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  10. Je suis (presque) 100% d'accord avec ce que tu dis Léo. Je voudrais juste rajouter une petit rocher à jeter dans la mare : quand on parle biodiversité, on pense animaux, végétaux, parfois champignons... et tout ce qu'on ne voit pas passe à la trappe. Outre le fait qu'on galère à définir une "espèce" pour tous les microorganismes, ceux-ci sont rarement pris en compte dans le type d'études que tu cite, alors qu'ils ont un rôle fondamental dans nos écosystèmes!
    Par contre, d'ici que l'homme arrive à décaniller la microbiodiversité...

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  11. "Fiève jaune, paludisme, dengue : toutes ces maladies mortelles inconnues des pays tempérés sont de véritables machines à tuer. Chaque année, environ 700 MILLIONS de personnes meurent des pathogènes transmis par les moustiques des tropiques..." - MILLIONS ? Euhhh.... Sachant que le nombre moyen de naissances dans le monde par an est de 139 MILLIONS et que l'humanité doit compter à l'heure actuelle environ 7,2 MILLIARDS d'êtres humains... Les mayas se sont pas trompé de beaucoup finalement ^^. A vrai dire, le nombre total de décès dans le monde par an est estimé à 60 MILLIONS environ donc même 70 MILLIONS c'est complètement abusé/impossible.

    Voilà des statistiques un peu plus acceptables :

    Wikipédia : "Les maladies infectieuses sont responsables dans le monde de 17 millions de décès par an, soit un tiers de la mortalité et 43 % des décès dans les pays en voie de développement (contre 1 % dans les pays industrialisés)."

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    1. wooow tu as raison, gros plantage sur ces chiffres là : j'avais lu 700 000 pour la malaria ( http://www.who.int/mediacentre/factsheets/fs094/en/ ), et j'ai écris 700 millions... je corrige, merci d'avoir relevé la coquille !

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  12. En effet, exercice de style brillant, mais pour l'objectivité scientifique c'est pas ça...
    Dire avec deux graphiques que l'Idh augmente depuis que la biodiversité diminue? C'est dans les pays ou l'Idh est le plus faible où le meurt le plus de maladies qui pourraient être bénignes comme la malaria (le paludisme), c'est le manque d'investissement dans le secteur de la santé par les Etats qui est la cause principale de mortalité dans ce cas. Un Français qui contracte le palus dans l'une de ces "contrés pathogènes" ne vas pas en mourir en France lors de son retour.
    De plus l'Idh n'est pas un indicateur concernant la santé, mais une moyenne de plusieurs indicateurs pour comparer le niveau de développement des pays. IL comprend l’espérance de vie, le pib par habitant, le taux de scolarité chez les jeunes et le taux d'alphabétisation chez les adultes. Alors quoi? Les gens vont plus à l'école qu'avant et/ou ont un meilleur pouvoir d'achat depuis que la biodiversité diminue? Fichtre! Il aurait était plus pertinent de comparer le graphique de la wwf avec des indicateurs comme l'espérance de vie ou la mortalité infantile par exemple (mais aussi de vérifier les sources et de les croisées, car si la biodiversité diminue, de nouvelles espèces continues d'être découverte encore aujourd'hui...) Et dire que les gens sont plus riches que jamais ne veut rien dire. Les riches le sont plus qu'autrefois, mais les pauvres le sont toujours autant, car contrairement aux riches, "les pauvres ne grossissent pas, ils enflent.", J.M. Blas de Roblès.
    A oui j'oubliais, la majeur partie des médicaments permettant d'améliorer l'espérance de vie, et donc aussi l'idh (mais pas que) provient de cette biodiversité.
    Et puis si la révolution verte initié en 1960 par le prix Nobel de la paix (1970) et généticien Norman Borlaug a en effet permis d'accroître les rendements agricoles. Cela est aujourd'hui fortement contesté, avec une utilisation intensive de l'irrigation et des pesticides à outrance (questions à propos des ressources hydriques donc), mais aussi une dépendance des agriculteurs aux intrants et aux entreprises les vendant comme mosanto par exemple.

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  13. Juste peut être un argument pragmatique de plus pour la (bio)diversité. Si un système efficient pour le bien être matériel humain reposant sur un nombre très réduit d'espèces semble plausible sur le long terme, sa résilience en cas de choc très dur pourrait être extrêmement faible. Les grandes périodes d'extinction ont été aussi les foyers d'un foisonnement écologique, à échelle géologique, grâce aux espèces survivantes. Mais bon comme on sera remplacés par des robots dans 20 ans ce n'est pas un sujet :)

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