Éloignez les enfants, aujourd'hui on va aller se perdre dans
les coins sombres de la recherche en écologie, plus précisément de l'écologie
comportementale. Oui, parce que l'écologie comportementale c'est la science des
pandas, des gazelles et des jaguars ... mais pas que. Non, vraiment pas que.
Aujourd'hui ça va être sale, très sale.
Posons rapidement un cadre, la recherche ça marche comme ça:
des équipes de chercheurs de partout dans le monde travaillent très fort sur un
sujet, pendant très longtemps et un beau jour ils se décident à publier un
article. Les articles produits par un chercheur sont super importants car c'est
l'aboutissement de son travail, la reconnaissance enfin tant attendue de ses
collègues, ainsi qu'un moyen d'avoir des financements ... ou simplement un
poste (oui...).
Mais vous me direz,
tous les articles ne se valent pas? Et vous auriez raison, effectivement
tous les articles ne se valent pas, et c'est là qu'interviennent les journaux
scientifiques qui publient les articles. Les journaux scientifiques sont les
arbitres de ce beau monde qu'est la recherche. Soumettre un article à Science par exemple c'est en quelque
sorte aller draguer la plus jolie fille du bar alors qu'on est encore qu'un ado
mal dans sa peau qui ne connait que les filles en JPEG. Maintenant que nous
savons tout ça, de quoi allons nous parler aujourd'hui? De la jolie fille
accoudée au bar dégustant son Kir Royal ou de Raymond qui reste assis à côté du
jukebox en sirotant sa bière? Ben ... à peu près par là:
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Merci Power Point! |
Une
histoire de canard mort ...
Tout commence par cet article scientifique publié le 9
novembre 2001 par Kees Moeliker dans la revue Deinsea qui est le journal du Muséum d'Histoire Naturelle de
Rotterdam:
Oui, vous avez bien lu le titre: Premier cas de nécrophilie
homosexuelle chez le canard colvert.
L'histoire commence le 5 juin 1995, alors que Kees Moeliker travaillait tranquillement au Muséum, il
entendit un "Bang" inhabituel provenant de la grande vitre qui borde
son bureau. Malgré le fait que cet ornithologiste expérimenté avait l'habitude
d'entendre de nombreux chocs provenant de cette vitre (ce qui signifiait qu'un
nouvel oiseau venait de se prendre la vitre de plein fouet et qu'il allait
rejoindre les collections du Muséum), celui-ci était plus bruyant que les
autres. Kees regarda par la vitre, et compris qu'un canard venait de s'écraser
contre la vitre. Mais sa surprise fut totale lorsqu'il vit le corps du canard
sans vie gisant par terre, être rejoint par un congénère. Celui-ci ne se
contenta pas de pleurer son ami tombé au champ d'honneur, mais se dit qu'il
serait plus intéressant de .... comment dire ... ben ... de s'accoupler avec lui ... pendant 72 minutes! Kees, qui observait la
scène, ne manqua pas de relever que le canard mort était lui aussi un mâle. Il
prit des photos de cette scène surréaliste et l'histoire aurait pu s'arrêter
là.
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Figure tirée de l'article en question. Je crois que tout le monde comprend ce qui est en train de se passer ... |
Mais c'est sans compter sur le fait que Keed Moeliker est un
scientifique, qui, comme tout scientifique, se doit de communiquer au monde ses
observations. 6 ans plus tard, il se dit qu'il ne pouvait garder une seconde de
plus ce terrible secret pour lui et publia l'histoire du canard violeur
nécrophile dans un journal scientifique.
Une fois la lecture de cet article achevé, je me suis dit
que c'était quand même étrange, et pas mal WHAT THE FUCK pour un article
scientifique. Et, poussé par une curiosité que je n'explique pas, je me suis
demandé si cet article avait été cité ailleurs dans la littérature scientifique.
Alice qui
s'aventure dans le terrier du lapin blanc...
Et quelle ne fut pas ma surprise de voir que cet article
est cité 8 fois dans Google Scholar.
Parce que OUI, la nécrophilie c'est un
sujet sérieux! On trouve par exemple:
- Un autre cas publié dans Herpetology Notes chez le lézard
arc-en-ciel. Ici l'histoire se résume à un mâle errant qui s'accoupla à
plusieurs reprises avec une femelle écrasée par une voiture sur la route. Les
auteurs expliquent l'étrange comportement du mâle par le fait que "le corps de la femelle avait dû être chauffé
par les rayons du soleil de cette après-midi d'été" (je n'invente
rien, c'est dans l'article).
- Mais ces exemples ne sont rien à côté des terribles manchots de la Terre Adélie.
En 1912, l'explorateur George Murray
Levick fut contraint de passer l'hiver antarctique en attendant son bateau
sur la Terre Adélie. C'est alors qu'il se mit à observer les manchots ... et ce
qu'il observa fut - selon ses dires - le pire à supporter. Au programme: Viols
à plusieurs, nécrophilie, pédophilie, rapt, etc ... bref, il fait pas bon
d'être un manchot! Levick fut tellement choqué qu'il consigna ses observations en grec afin de réduire le nombre de
personnes pouvant lire le carnet de note de l'explorateur.
Mais revenons
à notre canard nécrophile
Après la publication de son article, Kees Moeliker, fut
contacté par Marc Abraham (fondateur du journal Improbable Research) pour recevoir l'Ig Nobel 2003 de biologie. Il y avait finalement une certaine
continuité avec l'Ig Nobel de l'année précédente (2002) attribué à Norma. E.
Bibier et ses collaborateurs pour leurs travaux sur le comportement nuptial des autruches vis-à-vis des humains dans les
conditions agricoles en Grande-Bretagne. En tout cas, Kees a de l'humour à
revendre, et fut très heureux de gagner l'Ig Nobel de biologie. Il instaura même
la journée du canard mort (Dead Duck Day)
dans son muséum au Pays-Bas (le 5 juin). Pour vous montrer à quel point Kees a
de l'humour, allez regarder sa conférence TED (sous-titré en français)
sobrement intitulée "Comment un canard mort a changé ma vie".
On se marre bien avec Kees!
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Si vous passez à Rotterdam le 5 juin ... |
La morale de cette histoire au final c'est que ...c'est pas
facile de trouver une morale à tout ça! Disons que la prochaine fois qu'un ami
vous dit que la Nature c'est ce qu'il y a de plus beau, à l'image d'un télétubbies qui nage dans de la
guimauve en arc-en-ciel ... rappelez-lui que derrière ce beau paysage se
cache parfois un canard!
https://www.youtube.com/watch?v=_1v_EcjeIkg
RépondreSupprimerJe trouve ça plutôt adapté.
Oh oui!
SupprimerMerci pour ce lien plein de poésie ;)
Je t'en prie, il faut que l'art et l'élégance se diffusent dans le monde entier!
SupprimerMais c'est vrai que c'est marrant de casser des mythes comme "la nature c'est les pitits oiseaux tout mignons".
Le dauphin est aussi assez particulier dans sa catégorie (viols en bande, sur les humains aussi, etc...)!
Bref, quelle perverse cette évolution.
Une petite histoire à raconter à la prochaine personne qui vous dira "c'est dans la nature, donc c'est bien" !
RépondreSupprimerAbsolument!
SupprimerC'était au départ l'idée que j'avais pour la "morale" de cette histoire, mais j'ai voulu rester sur un ton plus léger.
J'étais justement en train de me dire qu'il fallait absolument garder ce lien en réponse à "L'homosexualité dans la nature ça n'existe pas."
SupprimerToujours aussi sympa tes articles ! Ça me fait découvrir des choses de plus en plus étonnantes ;)
RépondreSupprimerPour l'hypothèse du lézard dont le corps a été chauffé suivant sa mort m'a fait soufflé du nez haha.
RépondreSupprimerJ'aime beaucoup ton article, tu utilises un ton léger sur un sujet qui peut être assez lourd à aborder et cela rend la lecture plus aguichante mais aussi l'imagination plus "agréable" si je puis m'exprimer ainsi.
Plus sérieusement, l'idée que ces actes de nécrophilies ne pourraient-ils pas être liés à l'instinct primaire, pour nombreuses espèces animales, de domination ?
Je m'explique brièvement, l'animal nécrophile pourrait être privé d'un de ses sens et pourrait ainsi (comme certains chiens, chats, ...) montrer sa puissance face à son "adversaire" qui est soumis (bon là d'accord, il est mort) sans se rendre compte justement du décès de son congénère ?
Bien entendu tout n'est que spéculation ;)
Bonne continuation et merci de cette découverte ;)
ya Nature aussi comme "fille la plus canon du lycée" ^^
RépondreSupprimerCoin coin !
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