Tywin Lannister est intrigué par le titre de l'article. Normal. C'est fait pour. |
Les œuvres de fiction peuvent-elles être d’une quelconque utilité pratique pour la science ?
( Spoiler : Oui, carrément. Grave. A donf. )
Première bonne raison : la fiction peut aider la science elle-même.
1. La fiction comme bac à sable d’idées folles
Tous les lecteurs d’Isaac Asimov le savent et le récitent
comme une comptine : la fiction précède bien souvent la science. Pourquoi
Asimov ? Parce qu’il avait formulé les Trois Lois de la Robotique dans l'une de ses nouvelles de fiction avant que l’intelligence artificielle ne soit vraiment une
discipline scientifique. (Wikipédia me souffle dans l’oreillette qu’un auteur tchèque lui aurait damé le
pion pour l’apparition du premier robot dans une œuvre littéraire.). L’exemple d’Asimov n’est pas
anecdotique : on trouve aujourd’hui tout un tas d’exemples d’objets du quotidien qui ont été pensés bien avant par des auteurs, à une époque où ces
objets n’étaient pas réalisables.
Tenez, tiens, l’ascenseur spatial. Cette formidable installation promet de rejoindre un jour une orbite géostationnaire à faible coût, et elle est dans les cartons depuis le 19ème siècle ! Il sera réutilisé dans les nouvelles d’Arthur C. Clarke, qui était un auteur de hard-SF. Ce courant de la science-fiction tente d’extrapoler le plus prudemment possible ce que l’on sait pour imaginer ce que l’on ne sait pas encore, et ses partisans ont très souvent une formation scientifique.
Tenez, tiens, l’ascenseur spatial. Cette formidable installation promet de rejoindre un jour une orbite géostationnaire à faible coût, et elle est dans les cartons depuis le 19ème siècle ! Il sera réutilisé dans les nouvelles d’Arthur C. Clarke, qui était un auteur de hard-SF. Ce courant de la science-fiction tente d’extrapoler le plus prudemment possible ce que l’on sait pour imaginer ce que l’on ne sait pas encore, et ses partisans ont très souvent une formation scientifique.
Citons aussi Kim Stanley Robinson,
qui déroule très rigoureusement un scénario complet de la colonisation et la
terraformation de la planète Mars dans La trilogie martienne, ou Greg Bear qui
imaginait un scénario d’évolution humaine à partir de Néanderthal dans L'Échelle de Darwin en invoquant tout
un tas de concepts assez velus pour le justifier, avec des virus comme des éléments
déclenchant une évolution accélérée ou même des réseaux de gènes qui
formeraient un "calculateur évolutif" etc.
Le bouquin n'est pas formidable (2x trop
long, personnages fadasses) mais pour les évo-nerdz, j’imagine que c’est un
must-read.
2. Les jeux de fiction comme outils scientifiques
Ok là on est à la bordure du
hors-sujet, parce que les jeux vidéo n’ont pas forcément de rapport avec la
science (même ceux qui font réfléchir), et ne sont pas tous des œuvres de
fiction. Mais néanmoins je vais tenter une petite pirouette pour vous montrer
que, en fait, si.
Il était une fois, fin de l’année
2005, dans le monde de World of Warcraft, une équipe de développeurs qui décida
de rajouter un nouveau donjon qui puisse constituer un défi raisonnable pour
des joueurs de haut-niveau. Ils introduisirent un boss de fin de donjon, répondant
au nom fleuri d’ « Hakkar l’écorcheur d’âmes », qui avait la capacité
d’envoyer un sort d’attaque, le bien nommé « Sang corrompu », sur les joueurs.
Ledit sort se répandait également aux autres joueurs, dans
ce qui était voulu au départ comme un effet de zone. Mais un petit bug fit que
ce sort pouvait également contaminer les animaux de compagnie des joueurs, et
les autres bestioles autour également. Lorsque ces joueurs retournèrent dans
les villes du jeu, après avoir pillé, massacré et bouyavé tout leur content,
ils refilèrent l’effet toxique aux
autres joueurs. Et ainsi commença la toute première épidémie à l’intérieur d’un
jeu-vidéo.
Cadavres de personnages |
L’évènement pris de l’ampleur et les administrateurs du jeu
tentèrent de contrôler l’épidémie avec des quarantaines, mais hélas les joueurs
pouvaient se téléporter d’une zone à l’autre dans le monde du jeu, et ils
possédaient leurs propres réservoirs infectieux : leurs animaux de
compagnie. La pandémie enfla tellement que l’expérience
de jeu fut, un temps, complètement distordue. Les villes furent vidées de leurs
joueurs, et les comportements de ceux-ci fut ceux de personnes en situations
réelles : certains fuyant les zones infectées, d’autres se portant
volontaires pour soigner d’autres personnages infectés, certains enfin tirant profit
de la situation ou transmettant la maladie à d’autres joueurs. Paniquant devant cette situation
de crise, les développeurs firent un bon gros reset sur les serveurs,
accompagné d’une retouche dans le code pour faire disparaître toute trace de
cette épidémie.
Néanmoins, l’évènement aura
attiré l’attention de plusieurs scientifiques : en 2007, un
épidémiologiste israëlien publiera une brève mentionnant les rapports entre
cette épidémie virtuelle et une véritable épidémie, et des parutions dans Science et le prestigieux Lancet proposeront d’utiliser
vraiment pour de vrai les jeux massivement multijoueurs pour la recherche en
épidémiologie. Dans les arguments qui ressortent,
il y a le fait que le jeu permet d’observer des comportements humains difficilement
modélisables sur ordinateur.
Par exemple, ils n’avaient pas incorporés dans leurs modèles que certains humains couraient dans les premiers temps vers l’épidémie, poussé par la curiosité, ramenant ensuite les germes dans des endroits précédemment sains.
Par exemple, ils n’avaient pas incorporés dans leurs modèles que certains humains couraient dans les premiers temps vers l’épidémie, poussé par la curiosité, ramenant ensuite les germes dans des endroits précédemment sains.
Depuis cet évènement, plusieurs
jeux sérieux et scientifiques, c’est-à-dire des jeux dont l’un des buts est de
faire avancer la science, ont vu le jour. Citons Fold-it, où le joueur doit
plier des protéines, le jeu Dna Puzzles pour faire de l’alignement de séquence phylogénétiques, etc etc.
Un très bon dossier existe sur le sujet, lisible ici : http://www.knowtex.com/blog/jouer-pour-faire-avancer-la-recherche/. Mais là effectivement, aucun rapport avec la fiction donc, passons.
Deuxième très bonne raison : la fiction pour communiquer la science
« Un univers de fiction bien foutu, en fait, c’est
comme un modèle pédagogique. » - moi, il y a 30 secondes.
Aah. La pédagogie. Bien que n’ayant qu’une très modeste
expérience dans le domaine, ( 2 mois de prof au collège, plus jamais ça. ) la pratique m’a fait
me rendre compte d’une chose : nos cerveaux sont câblés
pour être réceptifs à la narration, aux histoires, aux mythes et aux contes.
Beaucoup moins bien foutus pour absorber des articles d’encyclopédie par contre.
Racontez à une classe de collégiens l’histoire des virus
lytiques et lysogéniques comme elle est écrite sur wikipédia ou dans les
bouquins = aucune réaction dans votre auditoire, sauf la poignée de groupies du
premier rang.
Racontez l’histoire des virus comme le fait Tyler Dewitt (conférence TED ci-dessous),
avec une analogie sur l’espionnage, des explosions, un fil conducteur et des personnages
attachants = même le radiateur du fond sera tout ouïe.
C’est un fait : on trouve beaucoup plus de jeunes qui
peuvent citer la généalogie compliquée d’Aragorn (Lord of the rings), ou la chronologie de la guerre entre Lannisters et Starks (Game of Thrones) que de jeunes qui connaissent la généalogie des capétiens ou le déroulement
de la Guerre des Deux-Roses
sur le bout des doigts. Et pourtant, fondamentalement, ce sont des choses très
similaires.
Généalogie d'Aragorn... source |
Autre exemple : faites un test en demandant à des
élèves s’ils préfèrent un cours sur la biologie de Pandora (la planète du film
Avatar) ou sur celle d’un écosystème terrestre. A vue de nez, le résultat devrait
être en faveur des animaux qui n’existent pas… Pourquoi ? Question de
narration.
Or donc, les univers de fantasy bien conçus pourraient aider à enseigner les sciences ? Quelques exemples.
En biologie d’abord, avec la biologie spéculative. Pourquoi apprendre l’évolution ? Ben pour
se créer son propre monde, avec des bestioles différentes et étranges pardi !
On trouve de nombreuses personnes talentueuses, amatrices de hard-SF, qui
poussent le vice à faire de la biomécanique pour savoir si des créatures à 6 pattes sont possibles ou non, si un gros monstre devrait avoir 2 jambes ou plutôt 4, qui imaginent la couleur de l’herbe dans d’autres systèmes solaires, et qui se demandent à quoi ressemble une bestiole qui vit en forte gravité.
Certains sont en plus très doués en dessin, et produisent des bouquins là dessus (des japonais ou des français).
En génétique, il existe des analyses forensic pour savoir si Joffrey Baratheon, un personnage de la saga Game of Thrones, est bien le fils des jumeaux Lannister ou si il n'y a pas des chances qu'il soit malgré tout un descendant de Robert Baratheon.
En sciences politiques : le monde de Westeros (de la saga Game of Thrones, toujours) est
soumit au règne sans pitié de diverses maisons qui se frittent pour le pouvoir.
De très chouettes analyses politiques
nous permettent d’en savoir plus sur les ficelles politiques au moyen-âge, par
l’entremise de l'univers du trône de fer.
La Terre du Milieu, vue par un chercheur du GIEC |
En astronomie : le premier avril 2013, une équipe
dirigée par un chercheur basé aux îles de Fer
de Westeros (apparemment aussi chercheur
invité à Moat Cailin
:-P ) a publié un article sur Arxiv intitulé "Winter is coming !", dans lequel elle tente d’une part de comprendre pourquoi les hivers et les
étés durent plusieurs années sur Westeros, et d’autre part de les prédire.
Peine perdue, point de prédiction précise pour les hivers, mais un bel exercice
d’astronomie spéculative.
Distribution de la durée des hivers sur Westeros |
A chaque fois, la démarche est un peu la même :
utiliser l’univers de fantasy comme une analogie pour pointer du doigt un fait
scientifique réel.
Résumons. Un univers de fiction peut aider directement la
recherche scientifique en apportant des solutions, des idées folles, des
scénarios fous qui ne peuvent pas s’écrire dans un rapport officiel mais qui
prennent quand même racine dans les esprits. Les jeux-vidéo qui prennent place dans des univers de
fantasy peuvent aussi filer un coup de main aux chercheurs.
Mais surtout, les univers de fantasy peuvent fournir tout un
tas de bonnes analogies, de mises en situations, d’objets d’études pédagogiques et d’exercices pour
faire comprendre aux gens des concepts scientifiques bien réels.
Ce serait carrément bien que l’éducation nationale développe un univers de
fantasy complexe, riche et intriguant, pour que les élèves s’y immergent et
y découvrent indirectement des phénomènes étonnants (mais réels), devant lesquels ils ne se
seraient même pas retournés dans la vraie vie...
Le premier qui écrit une pétition pour ce projet, je lui prépare des cookies.
Le premier qui écrit une pétition pour ce projet, je lui prépare des cookies.
Sympa cet article Léo! Une plongée dans le monde des geek qui m'a appris plein de choses que je ne savais pas... même si on reste un peu sur le banc de touche si on ne regarde pas Game of Thrones...
RépondreSupprimerC'est gentil de te préoccuper des tribus d'Amazonie occidentale et des prisonniers de quartiers de haute sécurité en Corée du nord, mais tu sais, même si ces gens là ne regardent pas Game of Thrones, ils n'ont pas non plus accès à notre blog. Tous nos lecteurs devraient donc pouvoir suivre. :p
Supprimerhahahaha la réponse de Tim, j'ai riiiiiis :')
SupprimerAjoutez à votre réflexion que si, dans l'univers de la pédagogie, utiliser la narration reste encore expérimental, de mon côté, dans le camp de la vulgarisation, la narration est un outil utilisé depuis belle-lurette.
RépondreSupprimerArticle génial, je crois que je suis amoureuse. Longue vie à Radagast le Brun !
RépondreSupprimerHaha trop cool, tu es notre première groupie :-) Dès qu'on a des T-shirts officiels on t'en envoi un ^^
SupprimerBien joué léo...
RépondreSupprimerPour info : Mathieu Sapin et Lewis Trondheim ont écrit une BD : Krakaendragon dans laquelle, après une réforme de l'éducation nationale, les cours sont uniquement basés sur des jeux (français : étude de Tolkien, Asimov...), langue : elfique, nain et klingon, SVT : tératologie, EPS : paintball et JDR en GN...
RépondreSupprimersalut Léo ! moi qui suis élève de seconde je suis à fond dans tes idées ! les cours d'histoire racontés façon game of throne ça serait le pied ! mais je pense que j aurais la soixantaine quand les gars d'en haut commenceront à y réfléchir ( si ils y réfléchissent un jour --' )... bref trop bien ton article ! je kiff ce que tu fais !!!
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