24 juil. 2013

C’est scientifique : Round 2 !





Qu’est-ce-que la science ? 

Souvenez-vous, dans un billet précédent, nous avons tenté de répondre à cette question épineuse lors d’un repas entre amis, pour finir par boire une Margarita avec la jolie blonde accoudée au bar. Tout ça en clouant le bec à un créationniste, et ouais le scientifique a la classe en soirée ! Nous l’avons vu, le principe de réfutabilité de Popper nous a permit de mettre une étiquette à cette chose étrange qu’est la science: Une théorie est dite scientifique si elle peut être réfutée par l’expérience. 

Mais cela n’a pas toujours été le cas. Nous allons faire un petit bond en arrière dans l’histoire de la philosophie des sciences pour tenter de comprendre quel principe gouvernait la science il y a 3 siècles.






Jusqu’au 17ème siècle, les lois de la nature étaient gouvernées par la physique d’Aristote. Le monde sub-lunaire et sensible s’opposait au monde supra-lunaire, fixé et absolu. La science jusqu’à cette époque ne se basait que sur une étude des textes antiques, sans que personne n’ose aller au-delà. Que se passa t-il au 17ème siècle ? Une petite idée ? C’est à cette période que Galilée et Newton vinrent donner un coup de pied dans la fourmilière (qui ne joue pas de l’orgue !). Les découvertes de Galilée permirent de mettre en lumière le rôle de l’expérience dans la démarche scientifique. Contrairement aux aristotéliciens, Galilée produisait de la connaissance en étudiant les observations et les faits tels qu’ils sont, sans un quelconque background théorique. 

A partir de cette époque, on a considéré l’expérience et les observations comme le point de départ de toute théorie. Les observations étaient les piliers de la théorie, qui elle-même liait toutes les observations sous un énoncé général : C’est l’inductivisme.


Qu’est ce qu’est la démarche inductive ? 


« Si un grand nombre de A ont été observés dans des circonstances très variées, et si on observe que tous les A sans exception possèdent la propriété B, alors tous les A ont la propriété B »


Vous allez me dire que bon … c’est sympathique mais ce n’est pas ce genre de phrases qui vont intéresser la jolie blonde accoudée au bar, et l’empêcher d’aller voir le barman. Ce n’est pas ça la science ! Ben en fait si. La science des grands expérimentateurs que sont Galilée et Newton repose sur ce principe. Dans un langage moins formel, ce principe permet de lier des énoncés d’observation (une observation qui est identifiée) entre eux pour faire émerger un énoncé d’observation général (aussi appelé une théorie).
Une théorie est dite scientifique si et seulement si :


      1)      Le nombre d’énoncés d’observation est suffisamment grand.

      2)      Les observations doivent être répétées dans une grande variété de conditions.

      3)      Aucun énoncé d’observation ne doit entrer en conflit avec la théorie qui en découle.


Allons voir comment on procède. Voilà 3 énoncés d’observations (pris au hasard) :


      A)     Je vois de l’eau qui se met à bouillir à 100°.

      B)      Je vois la serveuse du bar qui me sourit (oui c’est une observation comme une autre … hé hé).

      C)      Je vois un cactus dans une zone aride.

Sympa les observations non?



Je suis face à trois énoncés d’observation, et je me demande s’il est possible d’en tirer pour chacun d’eux un énoncé d’observation général, autant dire une théorie.

Appliquons le premier principe (le 1) de l’inductivisme et essayons d’observer chacune des observations plusieurs fois. On voit rapidement que seul l’énoncé A) et C) résiste à la méthode. Le jour suivant, je vais dans un autre bar, et la serveuse ne me sourit plus (à mon grand désarroi …).

Continuons la démarche (2) et essayons maintenant d’observer le A) et C) dans d’autres conditions. Le C) résiste bien (j’observe des cactus dans toutes les zones du globe, et à chaque fois dans des zones arides) mais pas le A) car je constate qu’en haut du Mont Blanc l’eau s’est évaporée à 80° !


Il ne reste maintenant que l’énoncé C). Et tant que je n’aurais pas trouvé un cactus dans une zone humide, alors je pourrais enfin élaborer une théorie (aussi appelée « énoncé d’observation général ») : Les cactus ne se développent que dans des zones arides ! Et voilà, on a fait de la science. Vous allez me dire « mouais … ça m’a l’air trop facile ». Et pourtant, pas du tout, c’est exactement de cette façon qu’a procédé Galilée.

Une fois notre théorie élaborée, nous pouvons ensuite faire des prédictions grâce au raisonnement déductif. Qu’est-ce-que la déduction ? C’est un peu l’inverse. La déduction est un raisonnement logique permettant d’arriver à une conclusion à partir de prémisses.
En voici un exemple :


      1.       Tous les oiseaux volent

      2.       Alfred est un oiseau

      3.       Donc Alfred vole.


Dans ce raisonnement, 1. et 2. sont les prémisses et 3. est la conclusion. Si les prémisses sont vraies, alors la conclusion l’est aussi. Il est important de noter ici que la déduction est un raisonnement logique, mais pas nécessairement valide. En effet, si les prémisses sont fausses, la conclusion sera logique, mais pas valide. Un exemple :


      1.       Tous les singes savent cuisiner

      2.       Je suis face à un singe

      3.       Donc ce singe sait cuisiner 


Ici, le raisonnement logique est parfait, mais la conclusion fausse, car une des prémisses est fausse. Il peut arriver aussi que l’erreur soit plus difficile à percevoir (c’est là que réside tout l’art du sophisme !) :


      1.       Tous les oiseaux volent

      2.       Alfred vole

      3.       Donc Alfred est un oiseau


Alfred peut aussi être un insecte ou avoir un deltaplane …



En bref, c’est l’échange entre induction et déduction qui fait la méthode scientifique. L’induction permet d’élaborer des énoncés d’observation générale (des théories) à partir d’observations. Et ces théories servent de prémisses afin de faire émerger des prédictions grâce au raisonnement déductif. 

Il est important de se rendre compte ici de l’importance de l’expérience (l’observation). Pour l’inductif naïf, l’expérience précède toujours la théorie. Il y a là ici l’idée de l’objectivisation totale du monde par le scientifique. Commencer par l’observation tendrait à considérer le monde comme un objet à part que l’expérimentateur va soumettre à différentes questions, sans aucun a priori, c'est-à-dire sans aucun présupposé théorique. 

Cela a-t-il un sens de considérer que l’être humain peut aborder le monde sans aucun background théorique ? La théorisation d’une expérience n’est-elle pas la condition à son observation ? L’objectivisation du monde a-t-elle un sens ? En clair, l’inductivisme a-t-il des limites ? Nous répondrons à toutes ces questions dans un prochain billet … il est temps de retourner au bar boire la Margarita avec la jolie blonde (c’est lourd cette histoire de blonde accoudée au bar hein ? Ca sera mon fil rouge dans tous les billets, ah ah ah !).





9 commentaires:

  1. 1) Pascal aime que les brunes
    2) Marion est brune
    3) Pascal est amoureux de Marion...

    Haaaaaaa.... Tout n'est que science ?...

    Cool post Pascal.
    l'objectivité dans le monde scientifique est un débat sans fin. Certains diront que le seul fait de choisir un sujet entraîne une certaine subjectivité. Comment séparer subjectivité et biais d'analyse ? Je peux aborder un sujet de façon subjective en faisant volontairement abstraction de certaines observations, mais je peux l'aborder de la même façon, uniquement car mes observations sont incomplètes ou mal interprétées. So, quid de tout ça ?

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    1. Tu peux aussi dire comme Pierre Desproges:
      1) L'homme est con comme un balais
      2) la femme est le meilleur ami de l'homme
      3) donc la femme est le meilleur ami du balais

      C'était l'instant machiste ... hum, désolé ^^!

      Bref, pour revenir à l'objectivisation du monde, ce que je voulais dire c'est que par définition ton objet d'observation (n'importe quoi, même une table) n'existe pas sans un observateur. Les choses ne "sont" pas, elles ne sont que définies par les propriétés qu'elles ont. En ce sens, observer quelque chose revient à observer un objet théorique (car il été préalablement définie par ses propriétés).

      Dans la vie de tous les jours ce n'est pas bien grave, mais lorsque on s'intéresse à des questions ultra fondamentales ça peut poser problème.
      L'exemple classique en évolution c'est le concept d'espèce: En soit elles n'existent pas, c'est simplement un objet théorique crée de toute pièce par la pensée humaine. Observer une espèce c'est observé un concept, avec toutes les propriétés que l'on y a mis dedans.

      (Note: Ne rentrons pas dans le débat "alors c'est quoi "exister" ... ^^)

      Rien qu'en disant ça, on se rend compte de la faiblesse de la pensée inductiviste qui dit que toute théorie commence par une observation objective.

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    2. On a aussi:
      1) Pascal Mi. est un thésard
      2) Un thésard doit en suer sang et eau pour avoir une thèse et espérer un poste
      3) Pascal Mi. est dans la merde...

      Sinon pour l'objectivité en science je rajouterais une observation: un scientifique est un humain et n'est donc pas objectif par définition (influence de sa culture, son éducation, est-ce qu'il est de bonne humeur ce matin, est-ce que son thésard vient encore l'empêcher de faire progresser la science par de stupides questions terre-à-terre du genre "c'est mieux un khi2 ou un fisher, là?", etc...).
      Ce qui permet aux scientifiques de prétendre à la production d'une connaissance objective, c'est la collectivité de cette production. Nous cherchons à produire des résultats qui seront reproductibles par tout scientifique compétent (sic) à travers le monde, quelle que soit sa culture et ses a priori personnels. C'est ce qui permet à tous ces scientifiques de tous les pays de se comprendre et de s'accorder sur des faits et des théories. Y'a guère que la science qui permet ça d'ailleurs! (et l'alcool: bourrés, on peut tous chanter les mêmes conneries, j'en ai fait l'expérience... Ah, l'ESEB à Uppsala...)
      Bref tout ça pour dire que c'est la dimension collective de l'activité scientifique qui donne son objectivité à la science. En gros, il faut que (presque) tout le monde soit d'accord, avec des corroborations multiples par des scientifiques multiples, pour qu'un fait/observation/théorie devienne scientifique.

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    3. Oui, effectivement, cette dimension "universelle' rend la Science très objective. Certains préfèrent parler d'ailleurs d'inter-subjectivité.
      Pk "inter-subjectivité"? Car au final, cette universalité de la Science ne permet toujours pas de passer outre la subjectivité inhérente à un être humain.

      Par exemple: un être humain a besoin de définitions pour raisonner sur le monde. Définitions qui sont basées sur des concepts, qui eux même sont inventés de toute pièce. Un être humain par exemple a tendance à s'imaginer le monde comme non-contradictoire. Surement due aux mathématiques, support de la science, qui représentent la science des objets non-contradictoire par excellence (1 n'est pas égal à 2). Mais qu'est-ce-qui nous dit que le monde est bien comme ça? Pourquoi seule les ondes pourraient par exemple avoir cette capacité "non locale", à l'inverse des particules qui devraient forcément être localisées dans l'espaces? (Cf Mécanique quantique). Ben simplement parce qu' l'esprit humain ne peut se représenter une particule à plusieurs endroit à la fois.
      Bref, notre conception du monde ne dépend que de nous même ... ce qui nous fait tomber dans le plus profond scepticisme sur à peu près tout. Ce qui faisait d'ailleurs dire à Descartes que la seule chose dont on peut être sur c'est nous même (le cogito).

      Bref, zut, en fait je blablate beaucoup trop!

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  2. Merci pour ce post, Pascal!
    Rien a redire

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  3. Désolé pour le commentaire tardif, je n'ai découvert ce superbe blog (si si!) que depuis peu de temps par le truchement de mon cher esclave (oups, on dit thésard non?)...
    Ayant apprécié tes deux billets sur ce qu'est la science, j'avoue une frustration difficilement contenue à ne pas voir le billet suivant, qui j'imagine nous présentera enfin le raisonnement abductif et les principes de cohérence et de parcimonie qui sous-tendent les sciences historiques, et donc notre compréhension de l'évolution passée...
    Parce que bon, on est bien gentils nous, à bosser avec nos p'tites bêtes qu'évoluent vite, et à montrer que nos manips s'accordent vachement ben avec les prédictions de la théorie de la sélection naturelle, mais y'en a qui essaient de reconstruire la "Grande Histoire de la Vie" (TM) par des méthodes toutes scientifiques bien que non-expérimentales...
    On a toute une bande de phylogénéticiens au rez-de-chaussé qui risquent de s'énerver très vite si on leur dit que parce qu'ils font pas d'expérience c'est pas des scientifiques...
    Et pour ceux qui n'arrivent pas à attendre, je recommande la lecture du chapitre 4 du Guide critique de l'Evolution http://www.pourlascience.fr/ewb_pages/l/librairie-guide-critique-de-l-volution-23654.php (le reste est très bien aussi au passage...)

    Encore bravo à tous pour votre blog!

    et Pascal Mi. au lieu de procrastiner et de poster des commentaires, va au labo, t'as des manips à finir!

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    1. Merci beaucoup pour ton commentaire!!
      Ben en fait oui la troisième partie de cette "histoire de l'épistémologie" devrait arriver sous peu. Mais je pense plutôt l'accès sur les faiblesses du falsificationnisme poperien (qui est pourtant érigé au rang de super star de l'épistémo). Tout ça pour dériver finalement sur le relativisme culturel de Thomas Kuhn. Qui, à l'inverse de Popper nous dit qu'il est impossible de définir objectivement ce qu'est la Science.
      Bref, je travaille sur ce post!!!

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  4. Le lien vers le premier billet est erroné (http://no-science-in-the-kitchen.blogspot.fr/2013/02/cest-scientifique.html).
    Avec le bon domaine ça marche : http://danslestesticulesdedarwin.blogspot.fr/2013/02/cest-scientifique.html

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