9 mars 2016

Des probabilités et des boucs

Imaginez que vous voilà projeté dans le célèbre jeu télévisé américain des années 60, “Let’s make a deal” ! Monty Hall, présentateur vedette de l’émission, vous présente trois portes derrières lesquelles sont cachés de fabuleux prix. Fabuleux… ou presque, puisque derrière l’une de ces trois portes se trouve une voiture neuve mais que derrière les deux autres se trouve un bouc. Le jeu est simple: choisissez une porte, et gagnez ce qui se cache derrière ! 


Dur dur de deviner où est la voiture... Heureusement, Monty ne va pas vous laisser dans le pétrin ! Il vous propose un de ses fameux “deals” : vous pouvez commencer par choisir une porte sans l’ouvrir, puis il en ouvrira une autre derrière laquelle se trouve un bouc (car il sait où est la voiture, lui). Vous aurez alors à nouveau le choix : conserver la porte que vous aviez initialement choisie ou changer pour l’autre porte encore fermée.







A gauche: Exemple du jeu de Monty Hall où le joueur décide de GARDER sa porte, et PERD !





 

A droite : Même exemple du jeu de Monty Hall où le joueur décide cette fois de CHANGER de porte, et GAGNE !







Alors, vous avez choisi ? Vous changez ou vous gardez votre porte ?  


Beaucoup de gens (dont moi) adhèrent de prime abord au raisonnement suivant : parmi les deux portes encore fermée après l'indication de Monty, l'une cache un bouc, l'autre une voiture et rien ne me permet d'en savoir plus à ce stade. Garder ou de changer de porte est donc équivalent et les deux nous mèneraient à la voiture avec une chance sur deux. Comme nous allons le voir, cette conclusion est mathématiquement erronée.

Vous prendriez bien un petit coup de probabilités?



En termes de probabilités mathématiques, le problème de Monty Hall se reformule de la facon suivante : sachant la porte que j'ai choisie au début et la porte ouverte par Monty Hall, la probabilité de trouver la voiture est-elle plus grande derrière ma porte initiale ou derrière l'autre porte ? Dans le premier cas, mieux vaut garder, dans le deuxième mieux vaut changer. Si les deux probabilités sont égales, alors le choix est indifférent, ce qui correspond à l'intuition.



Pour mener le calcul de ces probabilités, considérons le cas particulier où le joueur choisit initialement la porte 1 et Monty Hall révèle un bouc derrière la porte 2 (cf. l'animation ci-dessus). On peut alors énumérer les scenarios possibles et leurs probabilités à l'aide du diagramme suivant:
















où une flèche d'un évènement A vers un évènement B indique la probabilité que B se réalise sachant que A s'est produit.



Attardons-nous un instant sur la situation où Monty ouvre la porte 2 sachant que la voiture est derrière la porte 1 et que le joueur a choisi la porte 1 (chemin du haut sur le diagramme). Dans une telle situation, Monty pouvait tout aussi bien nous révéler la porte 2 ou 3, puisqu’elles cachent toutes deux un bouc. L’histoire ne nous dit pas comment Monty pense et agit face à un tel choix, mais on peut toujours le représenter dans le diagramme ci-dessus supposer qu’il choisit la porte 2 avec une certaine probabilité p (en rouge sur le schéma). En l’absence de précision contraire, il apparaît intuitif de supposer que de p=0.5, c’est-à-dire que Monty choisit au hasard entre les portes 2 et 3. Mais notez que ce choix ne repose pas sur un argument logique : on pourrait tout aussi bien supposer par exemple, que Monty préfère choisir la porte 2 dans deux cas sur 3 (p=2/3).



Quelque soit la probabilité que Monty Hall choisisse la porte 2, le raisonnement probabiliste reste le même. Si le joueur choisit de garder la porte 1, c'est qu'il pense que le scénario suivant est vrai : la voiture est derrière la porte 1 au début du jeu (probabilité 1/3) puis Monty, qui a peut alors ouvrir la porte 2 ou 3, a choisi la 3 (probabilité p). Ce scénario a au total une probabilité de 1/3 × p = p/3 . Si au contraire il change pour la porte 3, cela veut dire qu'il pense vrai le scénario où la voiture est derrière la porte 3 au début du jeu (probabilité 1/3) et Monty est contraint d'ouvrir la porte 2 (probabilité de 1). Ce deuxième scénario a une probabilité de 1/3. Comme p/3 < 1/3, le premier scénario est moins probable que le deuxième. Il faut donc changer ! Toute la différence de probabilité entre les deux scénarios tient du fait qu'en gardant la porte 1, le joueur fait un pari sur un évènement en réalité plus complexe que la seule position de la voiture : il parie également sur le choix qu'a fait Monty ! De ce fait son pari est plus risqué, et ses chances de succès plus faibles que s'il avait changé.





Je vous laisse vous convaincre que le même raisonnement est également valable pour n'importe quel autre scénario de jeu (je choisis initialement la porte x et Monty révèle un bouc derrière la porte y). Le lecteur intéressé pourra trouver d’autres preuves de ce résultaten consultant les références fournies à la fin de cet article.





Ce n’est pas le calcul des probabilités en lui-même qui fait l’intérêt du problème de Monty Hall mais plutôt le fait que notre intuition nous fait défaut, et ce que nous apprenons de ce fait sur nous, nos modes de raisonnements spontané et le fonctionnement de notre cerveau. 




Ce type de jeu suggère que nous avons du mal à appréhender certaines situations probabilistes. Dans le jeu étudié ici, le joueur a souvent du mal à se convaincre que le scénario correspondant au chemin du haut sur le diagramme est moins probable que le chemin du bas du diagramme.





On peut se demander pourquoi l’intuition nous fait défaut alors que le raisonnement logique nous permet de « redresser » notre jugement. L’explication est-elle de nature biologique ? On pourrait par exemple penser que notre cerveau est incapable, du fait de sa structure et de son fonctionnement, de produire des réactions intuitives correctes dans ce type de situation. De façon moins pessimiste, on peut également se demander si notre manque de spontanéité face au problème de Monty Hall ne proviendrait tout simplement d’un manque d’entraînement, qui pourrait être lié au fait que ce type de raisonnement ne nous est pas souvent nécessaire dans notre vie quotidienne ? Ce type de questions constitue un front de recherche actif aujourd'hui dans des disciplines diverses. En particulier, des chercheurs en psychologie travaillent à caractériser finement les blocages de notre intuition, si ces blocages dépendent de notre culture et s'ils peuvent être contournés par l'entraînement ou la reformulation du problème. D'autre part, des chercheurs en éthologie étudient comment d'autres animaux répondent au problème de Monty Hall (souvent reformulé en termes de gain de nourriture) afin, entre autres, de caractériser d'éventuels déterminismes biologiques partagés entre les espèces dans leur perception des probabilités.

Ainsi ce petit problème de boucs et de voiture aux apparences un peu triviales n'a pas fini de nous en apprendre sur les limites de notre intuition et leurs origine biologiques et culturelles !

Pour aller plus loin:
  • d'autres versions de la preuve mathématique du problème de Monty Hall sont disponibles sur la page wikipedia traitant de ce sujet;
  • une tentative intéressante pour rendre cette preuve intuitive (fondée sur l'augmentation du nombre de portes) est présentée dans cette vidéo du cycle "Quart d'heure insolite" de Richard Taillet;
  • un article de vulgarisation en éthologie suggérant que les pigeons joueraient mieux que les humains au jeu de Monty Hall. 
Et pour les plus acharnés:
  • une étude de psychologie (en anglais) tendant à montrer que l'entraînement sur des jeux similaires peut permettre aux joueurs d'améliorer leur stratégie sur le problème de Monty Hall (i.e. de changer de porte plus volontiers) sans pour autant améliorer la compréhension de l'argument probabiliste sous-jacent;
  • une étude de psychologie (en anglais) tendant à suggérer que le pays d'origine du joueur influence peu sa performance au jeu de Monty Hall et sa compréhension du problème.
Fabien

5 commentaires:

  1. Pour mieux faire comprendre la solution de ce paradoxe aux allergiques aux maths, j'explique que le choix de la porte 1 est de (1/3 cas de gain), alors que le reste (P2 + P3) represente donc (2/3 cas de gain). Que Monty nous montre la porte 2 ou la laisse fermé, notre porte 1 est toujours à 1/3. Donc changer est forcement mieux.

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  2. Merci Yi Liang pour ce commentaire/éclaircissement. Pas de doute, les mathématiques nous disent de changer. Le point clé du raisonnement sous l'angle que tu proposes est que notre porte reste à une probabilité de gain de 1/3, même après l'indication de Monty. Ce qui est mystérieux, c'est que nous ayons un penchant (instinctif?) à "réévaluer" les probabilités à 1/2 - 1/2 entre la porte initialement choisie et la porte encore fermée après l'indication de Monty, ce qui est une erreur mathématique. Certains psychologues ont appelé ce penchant "biais vers l'équiprobabilité".

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  3. Intéressant.
    Mais peut être que pour beaucoup la première barrière psychologique vient de la crainte que nous avons de passer d'une situation de gain à perte et donc de devoir assumer un échec non plus induit par de la simple malchance mais par une prise de décision. C'est à dire : "Si je change et que je trouve la chèvre alors je suis super déçu car mon 1er choix était le bon" versus "si je ne change pas, je trouve la chèvre, j'ai 'juste' pas eu de chance au départ!".
    D'ailleurs j'en viens presque à me demander si finalement nous n'avons pas conscience quelque part qu'une information nous est effectivement bien donnée pour la la seconde porte et que cela ne peut que nous aider à faire un choix stratégique (mais sans en comprendre pour autant les lois probabilistes inhérente) et que cela nous force d'avantage à rester campé sur notre choix initial (ayant eu d'avantage peur d'avoir fait une erreur de jugement si on découvrait la chèvre au second tour) sans compter que la personne est sous pression du regard des spectateurs et de la mise en scène du plateau télé.
    Après à voir si le comportement est surtout dirigé par l'enjeu et toute autre force de pression autour du choix (argent, situation humiliante, ...). Dans des situations n'impliquant pas autant d'enjeux et de pression, les comportements sont-ils les même ?
    Flavien

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    1. Salut Flavien,

      Je crois que ce à quoi tu fais référence est ce que l'on appelle l'aversion ou résistance au changement en psychologie (il y a une page Wikipédia là dessus).

      Dans le cas du jeu de Monty, des expériences en laboratoire montrent que les joueurs exposés pour la première fois au problème déclarent que les choix sont équivalents. Néanmoins, cela n'empêche pas que dans leur décision, ils manifestent une aversion au changement. Les psychologues qui ont travaillé sur Monty Hall déclarent souvent que cette aversion existe mais je n'ai pas trouvé d'expériences et de résultats probant à ce sujet. Ca doit pourtant exister, mais peut-être est-ce une question trop classique dans le champ de la psychologie pour faire l'objet de publications récentes... Si quelqu'un en connaît je suis preneur d'ailleurs!

      Ton interprétation de la cause de cette aversion (stress, pression du public) au changement est intéressante, il faudrait effectivement la tester comme tu le proposes. Je ne sais pas si cela a déjà été fait. Il faut cependant noter que ce facteur de stress est peut-être difficile à contrôler (certaines personnes peuvent être stressées dans un exercice sans enjeu en laboratoire, tandis que d'autres peuvent êtres complètement détendues sur un plateau télé).

      En tout cas merci de cette analyse.

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  4. Merci pour cet article,
    Une autre façon qui permet d'avoir plus d'intuition. C'est de refaire le jeu non pas avec 3 portes mais avec 1000 portes.
    Si on choisit la porte 1 et que l'animateur ouvre toutes les portes sauf la porte numéro 666 ... On se dit qu'il y a anguille sous roche et qu'on devrait peut être changer de porte.
    Je pense qu'avec 3 portes on ne prend pas en compte l'information que l'animateur ne choisit pas totalement aléatoirement la porte à ouvrir. Mais qu'il a une contrainte, qui est qu'il ne doit pas ouvrir la porte contenant la voiture.

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