8 déc. 2014

Le sens de la Science (PARTIE I: La mort de l'animisme et l'avènement de la Science moderne)

©Thinkstock
"L'ancienne alliance est rompue ; l'homme sait enfin qu'il est seul dans l'immensité indifférente de l'Univers d'où il a émergé par hasard. Non plus que son destin, son devoir n'est écrit nulle part. À lui de choisir entre le Royaume et les ténèbres"
C'est par ces mots énigmatiques que Jacques Monod termine son œuvre majeure Le Hasard et la Nécessité
Qu'a voulu nous dire ici le prix Nobel 1965 de biologie? Quelle est cette "ancienne alliance" dont parle Monod? Et surtout, pourquoi et quand l'Homme s'en serait détaché?



Derrière l'appellation d'ancienne alliance se cache pour Monod tout ce qui par le passé liait l'Homme aux choses intelligibles. Tout ce qui faisait que la connaissance était intimement imbriquée dans un système de valeurs humaines et de sens. Tout ce qui faisait que l'Homme attachait un sens humain à son environnement sensible. Vous l'avez compris, on parle ici de l'animisme. Chaque connaissance renvoyant à des valeurs et des symboles, pouvant de ce fait répondre à l'angoisse existentielle intrinsèque aux humains. D'où venons nous? Où allons nous? Qui sommes nous? Il n'y a qu'à écouter les chamanes, magiciens et autres sorciers pour nous apaiser et satisfaire notre curiosité arrogante à l'égard du Royaume de Dieu.

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Ne nous méprenons pas, faire coïncider le monde des valeurs et celui de la connaissance n'empêche pas que l'on comprenne pourquoi les feuilles des arbres tombent en hiver ou pourquoi le soleil se lève tous les matins (remarquez d'ailleurs ici le mot employé: "Pour-quoi" (1)). En effet, le rationalisme permettant d'accéder à la connaissance se fiche que son objet d'étude soit empreint de valeurs ou pas. Après tout, les premiers Hommes de la forêt Amazonienne savaient parfaitement distinguer une plante d'une autre, sans pour autant connaitre la systématique et la botanique. Mais alors? Qu'est-ce-qui différencie la connaissance issue de l'animisme le plus ancien à notre Science moderne? A écouter le philosophe Husserl, tout serait la faut de Galilée.


En effet, nous faisons bien souvent coïncider l'avènement de la Science moderne avec les travaux de Galilée. Qu'à fait exactement Galilée pour se voir affublé d'un tel honneur? 

Ni plus ni moins que d'interroger la Nature. Le mot est important ici, interroger. En se détachant du Vrai et du Faux d'Aristote et de la Religion, Galilée a lancé un pavé dans la mare (2). 

Ce perpétuel dialogue entre l'expérimentateur et la Nature que représente l'expérimentation scientifique nous détache du monde des idéalités transcendantales, et nous oblige à douter. Douter de la Nature certes, mais surtout de nous-mêmes et de la relation que l'on entretient avec le monde.




Parlons en de ce monde! Ce monde qui fait partie de notre humanité pour l'animiste, se retrouve extérieur à elle lorsque nous voulons l'interroger. Galilée l'énonce lui même, "La Nature est écrit en langage mathématique". Les mathématiques ne sont donc que le lien entre l'Homme est la Nature. Si lien il y a, cela veut dire qu'il y a inévitablement deux parties distincts. L'Homme et la Nature. La coupure est faite. A l'inverse de l'animiste qui voit allègrement de l'humanité dans toute chose et vice et versa, la Science doit inévitablement se détacher de son sujet pour mieux le comprendre.


Ce divorce entre l'Homme est la Nature n'est pas sans peine. En effet, en se détachant de la Nature, l'Homme emporte avec lui ses valeurs, ses émotions et son angoisse. 

Si les choses avaient un sens pour l'animiste ou le religieux, elles l'ont perdu pour l'Homme de Science. Les hypothèses, les théories ou les faits sont ... et rien de plus. Ils ne nous apprennent rien sur le sens de l'existence, la morale ou encore l'amour. 

La Science ne se préoccupe que de l'intellect, en restant muette sur les choses du cœur.





D'ou les mots de Jacques Monod, "nous savons que nous sommes seuls dans l'immensité indifférente de l'univers, d'ou on a émergé du hasard". L'homme est inutile, mais il est aussi un accident. Inutile car sa vie n'a pas de sens (3). Une vie qui elle n'est que le résultat d'une improbable loterie cosmique et biologique. En restant muette sur l'utilité et le sens de la vie, la Science marque ici son divorce avec la morale. Dit autrement, les faits ne sont pas Bien ou Mal, ils sont. En se cantonnant aux faits, la Science affirme en deuxième temps sont incompétence à répondre aux questionnements ontologiques (de l'être) ... laissant l'Homme seul face à son angoisse existentielle.

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Que retenir de cette première partie? En se détachant de la Nature, la Science moderne a permis à l'Homme de mieux la comprendre, et surtout mieux la contrôler (Les idées du siècles des lumières tournaient autours de ça). Cependant, l'Homme scientifique des 3 derniers siècles a les mêmes angoisses que l'homme d'antan. Son divorce avec la Nature se fait aussi au mépris des valeurs qui nous relient à elle. Privés du lien entre connaissance et valeurs, nous en cherchons, et parfois là où il n'y en a pas! Même plus, il nous arrive parfois d'ajuster les faits à nos valeurs (exercer un filtre en quelque sorte). Nous cherchons dans la Nature ce qui nous conforte, ce qui nous rassure (4). Bref, nous essayons d'injecter un peu de valeur et de sens dans la Science ... ce qui est paradoxal puisque celle-ci tire son efficacité de son objectivité. Il y a là un sérieux dilemme qui anime l'Homme moderne!

Cette questions plus contemporaines seront le sujet d'un prochain billet!

Nature - City Wall paper © Thoth, God of Knowledge - 2013 / Thoth, God of Knowledge


(1): Pourquoi qui renvoie ici à l'utilitarisme de la connaissance. C'est à dire le sens.

(2): Freud parle de la blessure narcissique que Galilée a infligé à l'Homme. La Religion, qui ne faisait (fait?) pas le divorce entre les valeurs (Dieu) et la connaissance ne pouvait se permettre un tel affront.

(3): Pour le dire autrement, on ne peut plus attendre d'une instance supérieure (transcendantale au sens étymologique), qu'elle nous "guide". Avec la Science moderne, le monde est devenu immanent. Chacun doit se forger son propre sens de sa propre vie s'il veut palier à ses angoisses.

(4): Il n'y a qu'à voir les débats passionnés que suscitent les découvertes scientifiques sur les origines des différences entre les hommes et les femmes (Innées / Acquises). Ce qui ne représente qu'une découverte scientifique devient rapidement une opinion sur la morale ou la politique... bref, on cherche du sens et des valeurs à défendre là ou il n'y a qu'une froide "vérité" scientifique. (Le mot "vérité" est entre guillemets car il n'y a pas de vérité absolue pour le scientifique).

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Pour aller plus loin:

- Jacques Monod, Le Hasard et la Nécessité (1973) Edition du Seuil. 

- Etienne Klein, Galilée et les indiens: Allons-nous liquider la Science? (2008) Flammarion.

- Edmund Husserl, La crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale. (1976) Gallimard.

- Henri Poncaré, La valeurs de la science (1905) Champs Science.

Encore plus loin:

- Ilya Prigogine & Isabelle Stengers, La Nouvelle Alliance (1978) Folio Essais.


6 commentaires:

  1. Ne croyez vous pas que Monod parlait, plus simplement, de l'Alliance, qui aurait fait Yahweh avec "son" peuple ?

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  2. Mais, je reconnais aussi la pertinence du reste de votre billet. Pour moi la phrase de Monod avait été simplement la reconnaissance de son athéisme. Et du mien.

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    1. Je ne pense pas que Monod parlait spécifiquement de Yahweh, Dieu ou la Religion monothéiste dans son ensemble.
      Après tout, la religion peut tout à fait s'entendre avec la science pour peu que l'on distingue bien les objectifs de ces deux "disciplines". Voir à ce titre le principe de NOMA de Gould, qui pour simplifier nous dit Religion = Valeurs / Science = Connaissance.

      Deuxièmement, La Nouvelle Alliance de Prigogine et Stengers (voir les ref) parle explicitement de la valeur de la Science, de ce qui la relie aussi à un choix humain. De plus, ce livre commence explicitement par les derniers mots de Monod.
      Je rajoute quand même que j'ai trouvé ce livre pas mal complexe! Prigogine et Sentgers ne font de toute évidence aucun effort pour ce faire comprendre par le commun des mortels. Par exemple, on a des références à la physique quantique, qui ne peuvent raisonnablement être comprise pas quelqu'un qui ne connait rien en physique quantique ... et qui ne sont pas expliquées dans le bouquin (!).

      En tout cas, il est évident que ce billet ne représente que mon opinion, et ne représente en plus rien de nouveau sous le soleil ; )

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  3. Humm ! Je pense que un approche scientifique de comment furent inventées les religions et aussi de ce qu'elles nous racontent permet de les inclure aisément dans la catégorie des mythes. Et dans ce cas là une bienveillance sociale envers elles est nocive pour le développement de la liberté de penser et la confiance dans son propre raisonnement nécessaires a l'esprit scientifique.

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  4. Pourquoi penser "qu'une bienveillance sociale envers elle est novice pour le développement de la liberté de penser et la confiance dans son propre raisonnement à l’esprit scientifique"?

    Plusieurs points:

    - La religion n'est pas néfaste à l'esprit scientifique. De grands scientifiques ont même été religieux. Et de grands religieux ont été scientifiques (le premier auquel je pense: Mendel).

    - Si les religions sont nocives dans la confiance en son propre raisonnement, alors je ne vois pas ou est le mal! C'est même tant mieux, le scientifique doit alors toujours douter de son raisonnement et se remettre en question. La science ne peut en ressortir que grandit. C'est même l'essence de la Science, qui s'oppose à la doxa. Le Scientifique DOIT douter de son raisonnement. (enfin ... aujourd'hui on est plutôt dans le publish or perich ....)

    - Feyerabend vous répondrait que "l'esprit scientifique et le raisonnement scientifique" n'existent tout simplement pas! Certes, ses arguments sont discutables, mais il a le mérite de nous alerter sur la difficulté de répondre à cette question "qu'est-ce-que l'esprit scientifique?".

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    1. C'est bien douter de soi-même. Mais a la fin il faut soit accepter l’indécision ( c'est faisable) soit, pour pouvoir continuer, employer les échafaudages les plus vraisemblables. Guillaume d'Occam était aussi un moine mais il nous a ouvert les yeux avec son rasoir: La considération que l'explication la plus simple est la plus vraisemblable. L'es dogmes religieux sont invraisemblables Si vous avez la "foi" vous devez fermer la porte au doute sur les dogmes. Mais si vous regardez les religions avec un œil critique vous voyez son ridicule. Certains savants étaient simultanément croyants, mais croire est un obstacle a comprendre. Pedro Santamaria

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