18 août 2014

Just do it ?

Bonjour à tous,

Après une douce rencontre avec le monde de la recherche il y a environ 5 ans et >700 Litres de café Une question à laquelle je n'ai toujours pas trouvé de réponse me taraude... Est-ce que le fait d'en être capable (technologiquement, scientifiquement etc...) justifie le fait que nous le fassions ?


Pourquoi pas ?


Aparté : 
Bien entendu, cette question en appelle une autre relative à la responsabilité du chercheur vis à vis de ses découvertes, mais je pense que ce sujet devrait bien finir par être traité sur ce blog, Pascal peut-être ? Fin.

Aucune lumière ne s'étant manifestée de mon conflit intérieur, je vous propose d'aborder cette question au travers de deux exemples récents, publiés dans la très prestigieuse revue Nature, et promis cette fois-ci je me tiendrai à mon plan :

I) La synthèse de deux nouveaux nucléotides complémentaires, étude publiée en 2014

II) L'utilisation d'un couple hôte-symbionte artificiel dans le contrôle de populations de moustiques en Australie, étude publiée en 2011

Allez, on y va :

I) La synthèse de deux nouveaux nucléotides complémentaires, D.A. Malyshev et al., 2014


Le code génétique est dit "Universel", pour la simple et bonne raison que la seule information génétique que nous connaissons à l'échelle du vivant est codée par 4 petits nucléotides dont les noms sont devenus célèbres : Adénine, Thymine, Cytosine, Guanine (l'Uracile remplace la Thymine au niveau de l'ARN, Acide Ribo-Nucléique). Ces nucléotides marchent par paires, ils sont complémentaires, ainsi A-T et C-G, forment les paires nucléotidiques donnant naissance à ... La fameuse double hélice d'ADN (Acide Désoxyribo-Nucléique). 
Ces petites bases nucléotidiques peuvent être perçues comme un alphabet à 4 lettres dont chacune des séquences de 3 lettres à une signification. En effet, à ces complexes de trois nucléotides, correspondent des acides aminés. 
NH2 = groupement amine, COOH = groupement carboxyle, R = Une chaîne plolycarbonée de nature et de longueur variables qui va donner son "identité" à l'acide aminé.
Alors, 4 bases azotées, avec des séquences codantes de trois bases, cela donne : 4^3 = 64 possibilités. Seulement on ne connait que 22 acides aminés, le code génétique est donc dit universel et dégénéré car plusieurs séquences différentes peuvent coder pour le même acide aminé, ex : 
UUU, UUC, codent pour la phénylalanine (phe), AUG code pour la méthionine, codon dit initiateur car en tête de toute chaîne protéique, et UAA, UAG, UGA ne codent pour rien ils sont appelés codons stop et marquent l'arrêt de la chaîne protéique.
Si on reprend l'histoire, l'ADN est formé de 4 bases nucléotidiques, ces bases sont transcrites en ARN, et chacune des séquences de trois bases va être "lue" pour assembler une chaîne d'acides aminés (Traduction). Les acides aminés ont des propriétés chimiques différentes en fonction de la longueur et des atomes qui forment leur queue poly-carbonée (R sur le schéma précédent). Ces propriétés vont entraîner le repliement de la chaîne d'acides aminés selon des conformations en plusieurs dimensions très précises.. et pouf, voilà une protéine. Vous l'aurez compris, la fonction d'une protéine dépend de sa structure spatiale. 
Petit récapitulatif...
Jusque là rien de nouveau me direz-vous, effectivement cette histoire (avant celle de la vie, en fait) est vieille de plus de 3.8 milliards d'années et aurait débuté par un immense repas : la soupe primitive...(Faudrait un post entier pour expliquer ça, je m'y collerai peut-être une prochaine fois). Pour les curieux tout de même : "Le gène égoïste" Richards Dawkins (un peu vieux mais tellement grandiose, le livre hein, pas Richard... en fait si les deux, quoique que, y en a un qui a mieux vieilli que l'autre...)

Alors cette nouveauté ? Hé bien une équipe de chercheurs américains, a juste "créé" deux nouveaux nucléotides complémentaires : d5SICS - dNaM ou encore le petit nom bien trouvé de X-Y (je ne commenterai pas le choix des lettres en plein débat sur la théorie du genre...).

Origine des fonds (en grande partie)

Est-ce un exploit ? non, cela avait déjà été fait. En fait il en existe encore d'autres, des nucléotides artificiels, par ex., Peter Shultz et son équipe ont déjà créé une vingtaine de nucléotides artificiels... En fait, en écrivant cet article, j'ai eu la surprise de me rendre compte que c'est un immense champ de recherche très hautement financé (par souci pour ma vie je tairai l'origine des fonds) avec des équipes qui travaillent à l'élaboration de nouveaux codes génétiques etc etc ...



La nouveauté réside dans le fait qu'ils ont réussi à intégrer ce couple X-Y dans un plasmide (ADN circulaire surnuméraire trouvé chez les bactéries, en plus de l'ADN chromosomique, et capable de se répliquer) d'E.Coli (toujours elle) in vivo... Le petit plus de l'étude est qu'ils ont fait se répliquer ces bactéries sur plusieurs générations et que le taux de conservation de ces bases s'est avéré de 99.4 %  ce qui correspond à un taux d'erreur de 10e-3 et qui n'est pas sans rappeler le taux d'erreur "naturel" d'une polymerase (Enzyme qui met côte à côte les différentes bases azotées lors de la réplication d'ADN).

En gros, on a créé artificiellement des nucléotides qui s'intègrent dans la chaîne d'ADN, restent stables, sont recopiés et transmis à la descendance. L'idée de l'étude est de porter, à terme, à au moins 6 bases le code génétique, pour augmenter les "possibilités" de formations de protéines avec quelques 172 acides aminés synthétiques. En effet, dans quelques décennies ceci pourrait permettre la fabrication de protéines artificielles via des bactéries facilement cultivables (rendements élevés et coûts très faibles) pour une utilisation pharmaceutique par exemple. Toutefois de tels systèmes pourraient rapidement s'emballer et les "verrous génétiques" pourraient potentiellement sauter, ça s'appelle l'évolution. Quid de ce nouveau système...
Enfin, pour rappel, la vie telle que nous la connaissons, et je comprends également les virus dans ce terme, est basée sur nos quatre petits nucléotides ATCG et le champ des possibles ne semble pas avoir encore été exploré et loin de là... 
Même si j'admire l'exploit, je ne peux que me poser des questions quant au bien-fondé de tout ça...

La publication : Malyshev, D. A., Dhami, K., Lavergne, T., Chen, T., Dai, N., Foster, J. M., Correa, I. R., et al. (2014). A semi-synthetic organism with an expanded genetic alphabet. Nature, 509(7500), 385–388. 

Sur le sujet : 
http://www.lemonde.fr/sciences/article/2014/05/07/l-alphabet-de-la-vie-s-enrichit_4412957_1650684.html?xtmc=base_azotee&xtcr=1
http://www.omics-ethics.org/observatoire/zoom/zoom_02/z_no4_02/zi_no4_02_2.html



II) L'utilisation d'un couple hôte-symbionte artificiels dans le contrôle de populations de moustiques en Australie. A.A. Hoffman et al., 2011

Après vous avoir présenté un exemple de création artificielle de bases génétiques, parlons de la création artificielle d'un couple hôte-symbionte.

"Genetic manipulations of insect populations for pest control have been advocated for some time, but there are few cases where manipulated individuals have been released in the field and no cases where they have successfully invaded target populations"

En français : Les manipulations génétiques des populations d'insectes pour la lutte antiparasitaire ont été préconisées depuis un certain temps, mais il y a peu de cas où les individus manipulés ont été libérés dans les populations naturelles et aucun cas où ils ont réussi à envahir les populations ciblées.
Il y a comme une pointe de regret ne trouvez-vous pas ?

Allez, je vous présente les protagonistes :

A ma droite : Aedes. aegypti  un sympathique moustique :  
Ce moustique est notamment vecteur du virus de la dengue, mais nous y reviendrons.




A ma gauche : Wolbachia une sympathique bactérie intracellulaire endosymbiotique (elle vit dans les cellules de son hôte) de la classe des alphaproteobacteria... Cette bactérie a un mode de transmission assez intéressant puisqu'elle se transmet de manière verticale, c'est-à-dire des parents aux enfants et dans notre cas, uniquement de la mère aux enfants. Cette petite bactérie a "inventé" tout un tas d'artifices pour se retrouver préférentiellement dans des femelles, puisque si elle se retrouve chez un mâle elle ne sera pas transmise... Parmis ses petits tours de passe-passe, le mâle killing : ont tue tous les mâles à l'état d'embryons; la féminisation, on fait excréter des molécules qui vont entraîner une réversion du sexe (chez certains cloportes par exemple); ou encore celui qui va nous intéresser aujourd'hui : l’incompatibilité cytoplasmique (IC). Si je suis un mâle infecté, je ne peux me reproduire avec une femelle qui ne l'est pas. Si je suis une femelle infectée je ne peux me reproduire qu'avec un mâle qui ne l'est pas ou qui possède la même souche bactérienne que moi.

Alors, qu'on fait les biologistes australiens et américains ?

Ils ont voulu contrôler les populations du moustique sus-nommé Aedes. aegypti qui peut occasionnellement être vecteur de la dengue, mais pas en Australie (le virus n'y étant pas présent). Les insecticides étant progressivement interdits, à cause des nuisances écologiques et des phénomènes de résistances, ils se sont tournés vers la lutte biologique, au sens hardcore!
Imaginez, alors que le taux de prévalence de Wolbachia est de 100% chez de nombreuses espèces (tous les individus sont infectés), elle est complètement absente chez notre moustique. Alors imaginons, si on arrivait à infecter notre moustique avec des Wolbachia prélevées sur une autre espèce, par exemple la drosophile... Si on infecte des individus et qu'on les relâche dans la nature, à cause de la transmission verticale, Wolbachia devrait rapidement envahir les populations locales.

-Ok, mais quel est l’intérêt de remplacer des moustiques sans Wolbachia par des moustiques avec Wolbachia?

Parce qu'on s'est rendu compte (un peu par hasard) que Wolbachia "protège" le moustique contre le virus de la dengue... En fait, une fois infecté par Wolbachia, les compétences vectorielles sont quasi nulles.

-Plus haut t'as dit que le virus n'est pas en Australie, alors pourquoi là-bas ?

Parce que pour un chercheur, l’Australie est un immense terrain de jeu, comme Las Vegas pour les Américains. A Las Vegas, tu peux boire dans la rue, fumer dans les casino, avoir recours aux services de gentes dames... En Australie tu peux tester tes recherches (i.e. faire le con) dans les populations naturelles grâce à certains flous de la loi.

Un extrait de P. J. De Barro et al., 2011 :
"Cette proposition a découvert une lacune dans le processus de réglementation normalement utilisé pour évaluer la libération des espèces en Australie. Tout d'abord, alors que l'association entre le moustique et la bactérie était nouveau, les deux espèces se sont produites naturellement en Australie et si la législation régissant l'introduction de nouvelles espèces dans l'Australie a été exclue pas pertinent. Deuxièmement, l'infection du moustique avec Wolbachia n'impliquait pas la technologie génétique et donc n'était pas soumis à la législation régissant l'approbation des organismes génétiquement modifiés. La solution est venue par la décision d'utiliser la législation existante pour réguler Wolbachia comme un produit chimique vétérinaire. Ce fut un bon résultat car il a surmonté la barrière que le manque de surveillance réglementaire ont pu représenter aux essais au champ en cours. En outre, l'approche adoptée a démontré un très haut niveau de contrôle à l'égard de la biosécurité. Ce cas est un exemple de la façon dont la science conduit à des avancées qui dépassent les cadres réglementaires existants."

En gros, chacune des deux espèces était déjà sur le territoire, même si pas ensemble et il n'y a pas de manipulation génétique. Notons tout de même la petite phrase à la fin : "Ce cas est un exemple de la façon dont la science conduit à des avancées qui dépassent les cadres réglementaires existants." Pour ce que ça veut dire ...

Donc en conclusion, on a pris une bactérie manipulatrice de la reproduction qui avait co-évolué chez la drosophile, on a réussi à la transfecter dans un moustique qui n'a pas connu cette bactérie dans son histoire évolutive, à la lui faire garder et à ce qu'il la transmette de génération en génération (ça, c'est déjà un exploit). Ensuite, on a fait des modèles théoriques pour estimer la diffusion de la bactérie dans des populations de moustiques non infectées en fonction de plein de paramètres, combien d'individus relâchés, à quelle vitesse ça envahit etc etc... Enfin on a trouvé un pays ou la législation est suffisamment lâche pour faire joujou et tester les prédictions des modèles théoriques... et ça marche!!! (re-super Exploit).

Et la suite ? se baser sur cette étude pour diffuser des moustiques infectés par Wolbachia dans toute l'Asie du Sud pour endiguer la prolifération de la dengue (d'ailleurs ça va pas tarder à commencer). En apparence bonne idée... mais la biologie est un système dynamique, les espèces interagissent, co-évoluent... Faire cela c'est exercer une énorme pression de sélection sur le virus de la dengue, éradication ? ou au contraire augmentation de la virulence, switch d'hôtes etc etc ? là c'est un peu quitte ou double...

...
Successful establishment of Wolbachia in Aedes populations to suppress dengue transmission
A.A. Hoffmann, B. L. Montgomery, J. Popovici, I. Iturbe-Ormaetxe, P. H. Johnson, F. Muzzi, M. Greenfield, M. Durkan, Y. S. Leong, Y. Dong, H. Cook, J. Axford, A. G. Callahan1, N. Kenny, C. Omodei, E. A. McGraw, P. A. Ryan, S. A. Ritchie, M. Turelli & S. L. O’Neill  Nature vol. 476.  25/08/2011

The proposed release of the yellow fever mosquito, Aedes aegypti containing a naturally occurring strain of Wolbachia pipientis, a question of regulatory responsibility.          Journal für Verbraucherschutz und Lebensmittelsicherheit Volume 6Issue 1 Supplementpp 33-40

Bactérie : http://fr.wikipedia.org/wiki/Wolbachia
Moustique : http://fr.wikipedia.org/wiki/Aedes_aegypti

Allez, il est temps de conclure. Ces deux exemples fascinent le chercheur en devenir que je suis et les bénéfices de ces recherches peuvent être magistraux, toutefois ils perturbent un peu le citoyen. En effet, le but de ces études n'est pas de comprendre des processus, mais bien de détourner des processus très étudiés, de copier des "processus naturels"  à des fins quelque peu farfelues en tout cas dont on maîtrise certainement les tenants mais en aucun cas les aboutissants...


A présent je vous propose de m'aider à répondre à cette question par commentaires pour connaître un peu vos avis sur la question : Est-ce que le fait d'en être capable (technologiquement, scientifiquement etc...) justifie le fait que nous le fassions ?



3 commentaires:

  1. Hey Pascal!
    Très bon article, j'ai franchement bien aimé le lire.

    De mon avis, tes 2 exemples sont extrêmement différents. Le premier est bien plus théorique et rentre beaucoup plus dans ta question première, a savoir "Si on peut, est-ce-que on le fait?".
    Par contre le seconde est différent ... Dans le sens ou ça retombe dans le schéma classique du ratio coût / bénéfice. En clair: Oui on le fait si les coûts sont plus faibles que les bénéfices (en terme de vie humaines et de bien être hein ... pas de sous sous). C'est la même problématique pour les OGM, les hybridations (pratiquées depuis 4000 ans), les vaccins, etc ... On retombe en fait dans la problématique du principe de précaution. Un bon article d'ailleurs sur la question du riz doré (OGM): http://www.greenetvert.fr/2013/02/19/une-opportunite-doree/71921

    Pour revenir à ta question de fin ... Je pense que ce n'est qu'une histoire de coût / bénéfice: Si on peut le faire et que ça n'a aucune conséquence néfastes, pourquoi ne pas le faire. (Le LHC en est un bon exemple)? A inverse, si on estime qu'il y a un risque, alors il faut faire la balance coût / bénéfice et en tirer les conséquences (comme pour un vaccin. Si 1 personne sur 10.000 subit des effets secondaires, mais que ça permet d'éradiquer une maladie mortelle (comme la polyo par exemple), alors que fait-on? ... A mon humble avis, le bon sens prévoit d’utiliser le vaccin).

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  2. Ce qui me gène c'est la précipitation dans la réalisation... On peut, alors on fait, et je ne suis pas sur que les coûts potentiels soient vraiment étudiés. Sur l'exemple du moustique, pourquoi ne pas prendre 2-3 ans pour étudier (au moins en laboratoire) l'impact de la présence de wolbachia sur la virulence de la dengue. On va me répondre que plusieurs projets sont lancés en ce sens, d'accord, mais pourquoi en parallèle des lâchers et pas en amont ?
    Quant à l'exemple du nouveau couple de bases d'ADN, je n'en vois tout simplement aucun bénéfice.....

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  3. Tout ce qui est techniquement possible n'est pas envisageable.
    On a déjà fait un paquet d'erreurs avec l'introduction de nouvelles espèces dans l'environnement.
    Alors certes là ce ne sont pas de nouvelles espèces au sens strict, cependant le moustique est un éco système. Et fait partie d'un éco système. Le problème est qu'on ne peut réussir sans essayer... Mais faut il essayer en connaissance de cause et donc faire tous les tests préalables pour vérifier que ce qui est attendu va bien se passer.

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