6 mars 2015

Les érables à l'assaut des montagnes au Québec ?


Sylvebarbe
Les chercheurs en écologie n’ont encore jamais croisé de ents, ces arbres humanoïdes arpentant la forêt, tout droit sortis de l’imagination de Tolkien. Pourtant, il est maintenant bien connu que les arbres se déplacent... une « marche » vers les pôles et les plus hautes altitudes en réponse au réchauffement climatique.


(Aujourd'hui, nous avons la chance de laisser la plume à Morgane Urli, chercheuse en écologie végétale de l'Université de Sherbrooke (Québec) qui va nous parler de ses travaux impliquant des arbres qui - comme les hirondelles - se mettent à migrer!)

Bien sûr, ce ne sont pas les individus qui migrent mais l’espèce et ce grâce à la dispersion des graines. Et les aires de répartition des arbres ont toujours évolué, avec les changements climatiques passés et aujourd’hui en réponse au changement actuel.

Les arbres constituent les espèces clé structurant les forêts, et ces dernières jouent un rôle capital dans la régulation de nombreux cycles notamment celui de l’eau et du carbone. Elles renferment une biodiversité impressionnante et procurent des ressources forestières, alimentaires, pharmaceutiques... C’est pourquoi, il est primordial de comprendre les mécanismes contrôlant les limites d’aire de répartition des arbres afin de prédire leur déplacement futur.

Mont Saint-Joseph (Québec). Site d'étude de nos travaux. On note les 3 zones : forêt de décidus, écotone et forêt boréale

Les arbres ne migrent pas assez vite…

Avec le présent réchauffement, les espèces forestières n’arrivent pas à suivre. Leurs vitesses de migration restent bien inférieures au déplacement de leur enveloppe bioclimatique, c’est à dire à l’aire géographique au sein de laquelle les habitats leur sont favorables en termes de climat. Pourquoi existe-t-il un tel décalage temporel? Cette question fait l’objet de nombreuses études à travers le monde et est essentielle à l’amélioration des modèles visant à prédire leur aire de répartition future. Les chercheurs du laboratoire de Mark Vellend (Université de Sherbrooke) dont, Carissa Brown et moi-même, étudient notamment cette question et plus particulièrement les facteurs qui contrôlent la distribution altitudinale de l’érable à sucre, espèce économiquement et écologiquement très importante au Canada.

Promenons-nous en forêt?


On commence par les érables ...

Imaginez-vous, en forêt, sur un sentier qui monte en pente douce. Au-dessus de vos têtes, vous observez une canopée d’érables à sucre parsemée de quelques bouleaux jaunes et de hêtres à grandes feuilles. 

Vous poursuivez, le sentier se fait un peu plus raide et des individus de sapin baumier et d’épinette blanche apparaissent entre les érables.

... et on finit par les sapins.


Vous enjambez de plus en plus de fougères absentes au début de votre promenade. Encore un petit effort. Le sentier est maintenant très abrupt et l’atmosphère en sous-bois a complètement changé : plus d’érables ni de bouleaux, que des sapins et de l’épinette. Sans vous en rendre compte, vous avez traversé l’écotone entre les forêts de feuillus tempérées et les forêts de conifères boréales. 

Vous avez également observé le cœur, puis la limite de la distribution de l’érable avant de vous retrouver complètement en dehors de son aire dans la forêt boréale le long de ce gradient altitudinal.

C’est pourquoi, cette forêt située au sud du Québec dans le Parc du Mont-Mégantic, constitue un terrain de jeu parfait pour nos recherches. Les gradients altitudinaux constituent des modèles d’études privilégiés pour nous, qui nous intéressons aux déplacements des aires de répartition des arbres. En effet, plusieurs centaines de kilomètres séparent généralement le cœur de l’aire de répartition des arbres de leur limite ce qui rend ardu et coûteux les travaux sur des gradients latitudinaux. Sachant qu’une augmentation de 1°C correspond à 145 km en latitude mais à 167 m en altitude, ces centaines de kilomètres se transforment en centaines de mètres le long d’un gradient altitudinal. Ainsi, en 20 minutes de marche, vous passez du cœur de la distribution de l’érable à sucre à sa limite altitudinale supérieure.

Parc du Mont-Mégantic

Des érables sous expérience

Mais l’érable à sucre ne s’implante-t-il pas au-dessus de sa limite altitudinale alors que cette zone devient progressivement favorable en terme de climat? Pour répondre à cette question, Carissa Brown réalise une expérimentation de transplantation consistant à planter des graines au cœur (au sein de la forêt tempérée), à la limite (à l’écotone) et au-delà (au sein de la forêt boréale) de la distribution de l’érable (soit trois zones). Dans chaque zone, les graines ont été plantées dans du sol provenant soit du cœur, de la limite ou d’au-delà la distribution de l’érable.


Le résultat marquant de cette expérimentation est que, quelle que soit la zone de plantation des graines, l’émergence et la survie des semis est toujours plus faible pour les graines ayant été plantées sur du sol provenant d’au-delà la distribution de l’érable.

Un des ennemis des arbres: le terrible campagnol!
Une deuxième expérience a consisté à planter de nouveau les graines au niveau des trois zones, mais en les protégeant ou non des prédateurs à l’aide d’une cage. Elle a permis de mettre en évidence une prédation plus élevée, par des campagnols, des graines plantées au-delà de la distribution de l’érable. Ces expérimentations ont permis de conclure que la limite altitudinale supérieure de la distribution de l’érable à sucre est limitée par des facteurs non climatiques, comme le sol et la prédation par un rongeur. Il ne faut pas, en effet, oublier que même si les graines sont présentes dans un milieu favorable en terme de climat, elles doivent encore y trouver d’autres ressources comme les nutriments pour germer, survivre et aboutir à un arbre adulte capable de se reproduire à son tour. Or ce milieu ne sera pas exempt d’autres espèces qui pourront éventuellement être en compétition pour les mêmes ressources ou même constituer un prédateur de cette espèce comme c’est le cas ici du campagnol pour l’érable. Ainsi, ces résultats laissent supposer que même si le climat se réchauffe, la limite supérieure de la distribution de l’érable à sucre ne sera pas modifiée…

Hypothèse pour une autre recherche


Cependant, une autre observation est à prendre en compte avant de tirer cette conclusion : l’abondance plus élevée de semis au niveau de la limite qu’au cœur de sa distribution causée par une différence de mortalité des semis entre les deux zones. Il est probable que dans quelques décennies, l’abondance des arbres adultes d’érable sera plus élevée qu’actuellement dans cette zone « limite ». La pluie de graines au-delà de la distribution sera donc plus conséquente.


Mais sera-t-elle suffisante pour que certaines arrivent à survivre sur ce sol pauvre, ne soient pas mangées par les campagnols et permettent l’établissement de populations viables d’érables à de plus hautes altitudes ? 

Il s’agit maintenant de déterminer les causes de cette différence de mortalité des semis entre le cœur et la limite de la distribution de l’érable afin de prévoir sa dynamique future dans cette forêt. Un nouveau défi est lancé pour notre équipe. 


Défi que je tente de relever en testant présentement sur le terrain plusieurs hypothèses comme des différences de sécheresses ou de prédation par des insectes entre le cœur et la limite de distribution de l’érable.


Pour en savoir plus sur le journal de bord de l'expérimentation évoquée à la fin de ce texte et le quotidien d'un chercheur en écologie végétale, allez faire un tour sur le blog de Morgane, c'est par !



Ce texte a gagné un prix lors du 22ème concours de vulgarisation de la recherche 2014 de l'Acfas (Association francophone pour le savoir).



4 commentaires:

  1. Merci pour ce post sur notre blog, Morgane!
    Est-ce que tu es en contact avec les gens qui travaillent sur l'épinette blanche? si par hasard l'épinette blanche a une réponse plastique au changement climatique, dans ce cas la compétition entre les deux espèces peut aussi limiter la migration vers le haut de l'érable...
    Ton expérience et son résultat m'ont fait penser aux travaux de thèse d'Anna Hargreaves, qui a bossé sur des plantes annuelles et a montré le meme genre de résultats, et aussi que la limite altitudinale inférieure de ses plantes était conditionnée par la prédation par les rongeurs...
    Aussi je ne suis pas aussi pessimiste en ce qui concerne la migration/adaptation des arbres dans un contexte de rapide changement climatique... (par exemple Kremer et al. 2012). Et j'ai l'impression que les dangers les plus probables pour les arbres ne sont pas la lenteur de migration par rapport au climat mais les changements biotiques qui y sont associés (régimes d'incendies, épidémies, parasitisme par les insectes phytophages).
    Bref il y aurait des tonnes en plus a dire sur le sujet!
    Merci pour cet article!

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    1. Merci :)
      Oui, j'ai rencontré Chris Eckert l'année dernière avec qui Anna Hargreaves a travaillé l'année dernière. Leurs travaux sont très intéressants. Et ils ont réalisé une très bonne review sur les expériences de transplantation en limite de distribution qui m'a beaucoup servi pour monter mon expérimentation. On associe souvent des contraintes abiotiques à l'expansion de l'espèce au niveau de sa limite froide et des contraintes biotiques en limite chaude. Là ce qui est intéressant dans les travaux de Carissa, c'est de montrer que des contraintes non climatiques limitent également la limite froide. Je n'ai aucune idée de la plasticité de l'épinette mais ça serait intéressant à savoir effectivement. De mon côté en ce moment, je suis en train de voir sur le même site d'étude si ce n'est pas un relachement de la pression d'herbivorie par les insectes qui impliquerait une meilleure survie des semis de l'érable au niveau de l'écotone grâce à la manip dont je parle à la fin du texte. J'avance sur l'article scientifique et j'espère bien pouvoir le vulgariser d'ici quelques mois !
      Oui, je vois de quel article d'Antoine tu parles (j'ai travaillé avec Antoine Kremer en doc), je suis moins spécialiste au niveau génétique, mais j'ai fait beaucoup d'écologie historique et tu vois quand même des décalages temporelles énormes entre le déplacement effectif des espèces et le déplacement de leur bioclimat et la question de la migration assistée se pose pour certaines espèces à faible capacité de dispersion.
      Effectivement, il y aurait beaucoup à dire ! Je serais contente d'en apprendre plus sur tes travaux de recherche sur l'adaptation au climat de l'épicéa ! :)

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  2. Cool, chouette article, bienvenue sur le bloug :)

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