1 juil. 2014

La ménopause.. un paradoxe de l'espèce humaine



Je me souviens de cette petite conversation que j'ai eu avec un stagiaire sur les routes sinueuses des Cévennes, en période (intense) de terrain...
"- On va la louper notre éclaircie là... Les lézards vont être rentrés dans leurs trous tu vas voir! C'est quoi ? la 8° en 10 bornes ?
- En même temps si ces br****** roulaient un peu plus vite dans leurs caravanes de m***** !
- Oui... J'me demande bien à quoi ils servent tous ces vieux là !
- Comment ça à quoi ils servent ?
-Ben, ouai, pourquoi ils existent quoi! sont vieux, ils servent plus à rien !"
Pas si bête cette remarque si on y réfléchis bien...
Dargaud



Les "vieux", puisqu'il faut les appeler comme ça, sont une catégorie d'individus un peu paradoxale de notre espèce. En effet, toute mutation délétère s'exprimant dans un génome à partir de la fin de la vie reproductive d'un individu ne devrait être contre-sélectionnée (car non exprimée dans une période de vie sous sélection), entraînant sa mort rapide. Et pourtant, ils vivent plutôt longtemps nos "vieux" ! Étrange non ?
"Attends... je lis depuis 5 lignes et tu m'as déjà perdu là!"
Reprenons donc. Lorsqu'une mutation apparaît dans le génome d'un individu, celle-ci à trois options devant elle. 1/ La mutation lui confère un avantage, l'indivdu se reproduit tout plein, ses rejetons ont chacun une chance sur deux de porter la mutation et, avec quelques raccourcis, celle-ci peut progressivement envahir la population. 2/ La mutation ne donne ni avantage, ni inconvénient, l'individu se reproduit normalement et la mutation neutre peut ou non envahir la population. 3/ La mutation fait pousser un 4° bras à l’individu qui, trop pénalisé et trop moche, meurt sans se reproduire.
Sauf que tous les gènes, et donc tous les caractères ne s'expriment pas au même moment de la vie. Certains servent à faire pousser les dents lorsqu'on est bébé, d'autres à exprimer la puberté, d'autres la crise de la quarantaine... Mais certains s'expriment bien après la reproduction comme l'a bien expliqué Pascal dans son article sur la sénescence.
"Et alors ?"
Et alors? quelque soit l'issu de la mutation dans un gène exprimé tardivement (avantageuse ou non), celle-ci ne sera à priori jamais impliquée dans la capacité à se reproduire. Et donc avantageuse ou non, elle sera  transmise à la génération suivante même si elle implique de tuer systématiquement son porteur. Et si nous suivons le raisonnement jusqu'au bout, les individus d'une espèce devraient tout simplement accumuler ce genre de mutations délétères post-reproductives, les transmettre au moment de la reproduction, mais les exprimant uniquement dans leur vie post-reproductive. Et c'est ce qui se passe pour la majorité des espèces vivant sur terre.

Toutes ? non, certains irréductibles mammifères (encore eux!) résistent encore et toujours et se permettent de profiter d'une retraite dorée. C'est par exemple le cas de l'orque, du microcèbe, du macaque, du globicéphale et bien entendu l'Homme.
Quelques exemples d'animaux ménopausées. 


Pour continuer nous allons devoir nous poser trois questions majeures. La première nous amène à nous demander "Comment fonctionne une future maman et pourquoi arrête elle de se reproduire ?". Cette question à priori purement physiologique nous dirigera cependant vers la question évolutive suivante : "Pourquoi la ménopause?". Enfin, nous nous demanderons "Pourquoi l'après ménopause?".



1/ Les ovocytes, comment ça marche ?

"Sauf que techniquement... tu peux !
Et t'as même assez deux stock pour
2 bébés par PapaSchtroupmf !"

D'abord essayons de regarder comment la ménopause fonctionne.. Chez les mammifères, la formation des gamètes femelles (ovocytes) commence lors de la vie intra-utérine. Les ovogonies, cellules diploïdes (qui possède une paire de chaque chromosome) se divisent en deux par mitose (division d'une cellule en deux cellules identiques). Au cours du développement, l'embryon accumule ainsi un "stock" d'ovogonies par divisions successives, stock qui va se chiffrer en million (environ 7 chez la femme) autour de la 4-5eme semaine.

"Euh attends là... calcul rapide... Alors, si on considère que chez une femme le cycle menstruel dure 28 jours... ça nous donne environ 13 cycles par an... ça nous donne un potentiel de..... 583 333 années de reproduction potentielle ! Classe !"



Oui, mais ce n'est pas tout : toujours au cours de la vie intra-utérine (15eme semaine au 7eme mois), les ovogonies vont continuer à se développer et entrer en méïose (deux divisions cellulaires successives qui aboutissent à la formation de cellules haploïdes ( un seul exemplaire de chaque chromosome)), on parle alors d'ovocytes primaires. Ces ovocytes I n'achèvent pas tout de suite le cycle méïotique, et reste bloqué, jusqu'à la puberté... 
"Ouai mais bon, les ados pleins de boutons elles ont encore à ce stade un potentiel de 583 333 années... "
Revenons un peu en arrière. Entre le 7ème mois et la naissance, une phase particulière à lieu, c'est l'atrésie. Au cours de cette phase qui consiste en la dégénérescence de nombreux ovocyte I, le nombre d'ovocyte I passe de 7 Millions à environ 700 000 (on avance !). Soit un potentiel de 58 333 années de 12 cycles...
"On avance..."
On accélère, l'atrésie continue jusqu'à la puberté et au moment de devenir fertile l'ado possède encore environ 400 000 ovocyte I soit : 33 333 années. Dernière phase, à chaque cycle ovarien, ce sont plus de 50 ovocytes qui vont se développer pour un seul qui donnera un ovule, soit : un potentiel de 667 années de 12 cycles menstruels...
"Comme ma mère quoi !"
Vous comprenez bien, que si après environ 450 cycles (46-54 ans), la femme perd sa capacité de reproduction c'est qu'il se passe quelques chose.... Et ce quelques chose c'est la ménopause!



2/ Pourquoi la ménopause ?

Nombre de follicules en fonction de l'âge.
     Donc nous y voilà, la ménopause. En fait, si l'on regarde la façon dont le nombre d'ovocyte est supposé diminuer au cours de la vie d' une femme humaine lambda (disons Stéphanie de Monaco, Fig. 1, pointillés), on se rend rapidement compte que la chute est encore plus rapide que prévue par nos savants calculs et que Stéphanie devrait arrêter de se reproduire vers l'âge de 70 ans (miam!). Cependant, comme le montre le graphique, la diminution de ces derniers s'accélère autour de 38 ans et est insuffisante à la reproduction entre 45 et 50 ans. Pourquoi ? "Pourquoi une chute du nombre d'ovocytes provoquant l'arrêt de la reproduction est un avantage pour l'individu ? Pourquoi cette dégénérescence a pu être sélectionnée ?"

     Imaginons un monde où Stéphanie pourrait se reproduire de 20 ans à 70 ans (beurk). Cette dernière serait alors fertile en même temps que sa mère, sa fille et peut-être même bien sa grand mère. Mathématiquement, cela revient à passer 63% de sa vie reproductive en compétition avec sa mère. Mais aussi 63 % avec sa fille et 15 % avec sa petite fille. Imaginez le bordel dans la famille royale.. Par ailleurs, il a été démontré que  les reproductions humaines tardives pouvaient conduire à une mortalité ou des handicaps plus importants (Lacomme 1955). Dès lors, tout caractère (ou mutation) permettant de favoriser la reproduction d'une jeune et fraîche femelle au détriment d'une  femelle disons un peu moins fraîche, devrait être favorisé car limitant les risques de compétition et de mort infantile. La diminution des follicules apparu par mutation un jour n'a donc pas été contre sélectionnée et a pu s'imposer dans la populations. 
"Ok, l'histoire des bébés morts, j'ai saisi... Mais aller me mettre en compétition avec Jacques pour Bernadette... la vision d'horreur !"
Il est vrai que ces hypothèses ne sont peut-être plus tout à fait valide de nos jours, mais la sélection n'est pas une jeune pucelle et elle se plait à jouer avec l'Homme depuis qu'il existe. Dans de nombreuses populations tribales disparues récemment comme dans certains populations d'il y a fort longtemps, les chefs (mâles) se partageaient les femmes de tout âge sans scrupule et il aisé de comprendre que de telles adaptations évitant une compétition entre mère et fille ait pu être renforcées.

Un petit indice ?

     Il est cependant intéressant de remarquer que de tels signes de sélection sont perçus dans plusieurs espèces de grands singes, réduisant le chevauchement de reproduction fertiles. Mais la différence de chevauchement intergénérationnel semble plus forte chez l'humain. Autrement dit les forces de sélections ont certainement été plus importante... la faute à qui ? la religion? aux règles sociales ? ou autre chose ? Réfléchissez-y un peu... 







3/ Pourquoi l'après ménopause ?

     Nous avons donc une hypothèse expliquant la ménopause qui est à peu près valable. La question est maintenant de savoir pourquoi l'après ménopause. Comme nous l'avons évoqué plus haut, cette survie est un paradoxe puisque l'accumulation de mutations délétères ne peut plus être contre-balancée par un différentiel d'investissement dans la reproduction. Pourquoi donc continuer à survivre après? Il doit bien y avoir un avantage quelque part... Et c'est à ce moment précis que "super grand-mère" fait son apparition. Du haut de ses 80 balais, si mamie ne se reproduit plus, rien ne l'empêche d'avoir encore et toujours des enfants.
"-Quooiiii?"
Si elle ne se reproduit plus, rien ne l'empêche d'avoir des descendants ?
"C'est pas un peu dégueu ton affaire là ?"
Si elle ne se reproduit plus, rien ne l'empêche d'aider sa fille à le faire ?
"Tu veux dire que.... Beurk!"
Quelques exemples supportant l' hypothèse
des grand-mères.
D'après Hawkes et al. 1997

Bon ok. Si elle n'est plus capable de transmettre ses gènes, rien ne l'empêche d'aider sa fille à faire en sorte que ses propres gènes (et donc la moitié de ceux de grands-maman) survivent mieux. Et voilà donc notre levier de sélection. D'après une étude menée sur des registres paroissiaux finlandais et québécois, une grand mère présente auprès de sa fille permet notamment d'augmenter la fécondité de sa fille, de diminuer l'âge au premier enfant, de diminuer l'intervalle entre deux enfants et d'augmenter la survie des petits-enfants. Donc survivre après la ménopause confère un avantage en terme de transmission de sa propre information génétique: une grand mère qui survie plus aide sa fille à avoir plus de bébés qui survivront mieux et qui à leur tour auront une maman plus vieille qui les aiderai a avoir pleins de bébés ...




Ok, ils sont "presque" nus
Pour terminer, un exemple concret. Il s'agit d'une population sud-américaine qui vivait (nus) sur des bateaux dans des réseaux de petits canaux du Chili. Les parents passaient la majorité de leur journée à plonger (tout nu) dans les eaux glaciales pour pêcher de quoi nourrir leur petite famille (nue aussi) qui attendait sur le radeau. Les enfants (nus aussi hein) devaient donc sérieusement se les peler le temps que Papa et Maman aillent faire les courses. Sauf que, les grands parents restaient près d'eux pour s'en occuper et les réchauffer et leur permettaient tout simplement de survivre... D'autres exemples pas si lointain peuvent être retrouvés en Sardaigne, Islande, Québec et autres peuplades agricoles.


Voilà, c'est tout pour aujourd'hui! On remercie donc bien fort sa grand mère et on va chercher Papi qui est parti chercher le journal... chez la voisine... hum !




5 commentaires:

  1. Bonjour, c'est en effet extrêmement intéressant. Il me semble avoir lu quelque chose de similaire chez les grand mère éléphantes. Ceci dit la question que je ne peux m'empêcher de me poser est celle de la durée de vie "dans la nature" d'un homo sapiens, cet allongement de la durée de vie qui permet l'existence de tant d'arrières grand mères n'est-il pas un biais de civilisation ?

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  2. Il y a forcément un biais de civilisation ou un biais médical qui permet d'allonger la durée de vie des grands-mères. Cependant, si une civilisation "soigne" ou "atténue" une mutation ou son effet, elle ne peut pas l'extraire du génome pour l'instant). Autrement dit, si la vie post-reproductive existe, elle existe bel et bien pour des raisons similaires à celle énoncées plus haut. La médecine n'a fait que la prolongée.
    La preuve en est que plusieurs grands-singes font de même. La vraie question qu'il faudrait se poser est la suivante :
    "Est-ce un biais social?" Autrement dit est-ce que ce type d'allongement de la vie ne peut être sélectionné que dans une espèce sociale? A priori oui car toutes les hypothèses sont fondées sur 1/ une compétition entre femelles apparentées pour un même mâle (pas forcément de socialité ici en fait) et 2/ sur une coopération entre la grand-mère et la mère.

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  3. Il y a un point qui manque et me gène sur la description au dessus, d'autant que c'est une erreur commune pour un nombre important de femme. La perte de la capacité *effective* de reproduction se produit bien avant la ménopause pour presque 100% des femmes. En fait, la diminution de la fertilité commence dès après la vingtaine, même si jusqu'à 35 ans, cette diminution n'a pas trop de conséquence pour la capacité de reproduction. En termes plus clairs : À 20 ans, pour la très grande majorité des femmes, un unique rapport sexuel va être suffisant pour tomber enceinte, mais à 35, il n'a plus que 50% de chance de déclencher une grossesse, et si 85% des femmes sont toujours fertiles à cet âge, c'est en recommençant plusieurs fois et sur plusieurs cycles. Cf le graphe dans cette image : http://www.babycenter.fr/i/preconception/infertilitygraph.gif
    Et après 35 ans le pourcentage d'infertilité grimpe rapidement. D'autant que, deuxième erreur fréquente, les technique d'assistance à la procréation n'ont qu'une capacité très réduite à résoudre le problème sauf avec un don d'ovocyte, cf cet interview du professeur Olivennes http://sante-guerir.notrefamille.com/sante-a-z/age-et-fecondite-combattre-les-idees-fausses-o57311.html

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  4. Cool l'article !!!
    mais dis-moi n'aurais-tu pas oublié de présenter une deuxième hypothèse expliquant la sélection de la vie post-ménopause .? une histoire de dispersion femelle biaisée ? à moins que tu nous le réserve pour un prochain post ?
    Plein de bisous canaille

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  5. L'éloignement mère-fille pourrait-il, à très long terme, jouer un rôle dans la survie de grand-mère ? Si c'est le cas, je demande à ma fille de rentrer immédiatement de Montréal.

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